Conte inracontable

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Par Laurent Perreault
mardi 15 octobre 2013
Conte inracontable
(Crédit photo: flickr.com/Mick Cam Photography)
(Crédit photo: flickr.com/Mick Cam Photography)

À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à l’un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est : marionnette.

Dans un village de la campagne italienne vivait paisiblement le naïf Erasmo. En fait, seuls les plus polis se contentaient de cette épithète. Pour les autres, Erasmo était plutôt l’incarnation de la bêtise. L’idiota, comme ils se plaisaient à le surnommer, échappait toutefois avec insouciance à ces moqueries et, malgré l’ostracisme dont il était victime, Erasmo vivait une vie candide dont toute bonne petite marionnette pouvait rêver.

Un jour, on eut vent d’un évènement particulier qui aurait lieu sous peu dans la ville la plus proche. Les productions Walt Disney viendraient y tenir des auditions pour leur prochain film, Pinocchio.

Cette annonce eut, dans la bourgade, l’effet d’une bourrasque. C’est le mesquin orfèvre du patelin qui proposa d’encourager la mascotte du village à participer aux auditions. Inopinément, l’idée alla se coincer dans un nœud de la tête du principal intéressé. « Et nous lui réquisitionnerons tout l’argent qu’il gagnera, s’il devient célèbre » manigançait-on.

L’influençable Erasmo, n’ayant rien de mieux à faire ce jour-là, se présenta à l’audition pour le rôle principal.

— Bien ! Maintenant, nous devons évaluer votre crédibilité comme menteur, déclara le réalisateur.

— Perdonami? s’étouffa Erasmo, rougissant à la seule pensée de fabuler.

— Répétez après moi : « Je suis un vrai petit garçon ».

— Je suis un vrai petit garçon, balbutia-t-il timidement.

— N’ayez pas peur de parler plus fort. Répétez : « Je porte un caleçon ».

— Je porte un caleçon, imita la marionnette, résolument plus confiante.

— C’est mieux ! Encore : « C’est Kant qui a raison ; Constant n’est qu’un con ».

— C’est Kant qui a raison ; Constant n’est qu’un con ! s’exclama Erasmo.

On le remercia. Après une longue attente, on lui annonça que le rôle de Pinocchio lui était attribué et qu’on le reverrait en soirée pour célébrer. Erasmo aurait pleuré de joie, s’il n’eut été un pantin dépourvu de glandes lacrymales.

À la fête, l’idiota fut une fois de plus victime de sa crédulité et n’osa refuser tous ces cadeaux qu’on lui offrait avec insistance. Il ingéra des liquides qui brûlent la gorge et assèchent la bouche. Il avala des médicaments qui ne guérissent rien d’autre que l’inhibition. Il aspira de la neige qui ne fond jamais.

Le lendemain fut brutal ; la nouvelle de son exclusion du film, fatale. Les évènements de la veille ne parvenaient pas à refaire surface dans l’esprit d’Erasmo. Le seul indice résidait en son front encore endolori : une gravure phallique.

Quelques employés de Disney encore sur place lui racontèrent, de façon très illustrée, comment il avait tué, dans l’œuf, sa carrière cinématographique. La productrice du film avait même déposé une plainte formelle contre lui pour harcèlement sexuel.

De retour au village, les habitants amers et déçus que leur mascotte humiliée ne soit pas parvenue à répondre à leur attente surélevée l’expulsèrent, sans scrupule, du village.

Sachez, mes enfants, que le succès est cousin de la déchéance. Ainsi faut-il toujours s’assurer d’être celui ou celle qui tient les ficelles.