Concours de circonstances

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Par Sophie Arbour
vendredi 27 février 2015
Concours de circonstances
Le professeur Mohamed Hijri dans une serre du jardin botanique de Montréal.
Le professeur Mohamed Hijri dans une serre du jardin botanique de Montréal.
Le concours La génomique pour nourrir l’avenir [la génomique vise à étudier le comportement d’un organisme par exemple], organisé actuellement par la société à but non-lucratif Génome Canada, a pour but le développement de solutions à la crise alimentaire mondiale. Génome Canada s’est donné notamment pour mission de mettre en valeur l’application des technologies rattachées à cette discipline et vient de donner son aval à un projet de recherche sur les mycorhizes, des champignons capables d’améliorer le rendement des plantes. Ce projet est copiloté par le chercheur et professeur au Département de sciences biologiques de l’UdeM Mohamed Hijri, assisté par de nombreux étudiants.

En collaboration avec Charles-Antoine Gosselin

«Le but du projet est de développer des outils technologiques pour permettre aux agriculteurs et industriels de se faire une idée sur la qualité de leur sol », explique le professeur. Le fabricant de fertilisants québécois Premier Tech biotechnologies participe notamment à ce projet.

Cette initiative conjointe est bien accueillie par l’étudiant au baccalauréat en science biologique Yann Nedellec. « Pour que des projets fonctionnent, il faut avant tout de la communication entre eux, pas forcément une alliance, mais que les recherches universitaires et les entreprises s’écoutent les unes les autres », croit ce dernier.

Selon M. Hijri, la microbiologie du sol a un impact extrêmement important sur la fertilité du sol. « Dans le cadre du projet actuel, on se concentre sur l’étude des champignons mycorhiziens qui se trouvent en abondance dans le sol », affirme-t-il. L’appellation mycorhizes désigne tout champignon qui pousse dans les racines des plantes pour établir avec elles une relation aux bénéfices mutuels. Elles recoupent plusieurs centaines d’espèces différentes.

« La première phase du projet consistait à assembler et à caractériser des génomes pour pouvoir identifier des caractéristiques spécifiques à une souche précise », raconte le professeur. Les génomes, soit les gènes groupés au sein des chromosomes, constituent la facture génétique d’un être vivant. « Pour chaque espèce différente, ou même à l’intérieur d’une même espèce, on retrouve plusieurs souches qui, en fonction de leur structure génétique, peuvent avoir des fonctions différentes », explique-t-il.La génomique est l’étude de la constitution et des activités de ces génomes et permet de comprendre le développement de différents types d’individus.

Le projet en est maintenant à sa deuxième et dernière phase, qui est définie par des objectifs beaucoup plus larges. « On veut dresser un portrait des communautés indigènes des différents sols agricoles et réaliser une cartographie du Québec ou du Canada en fonction des objectifs qui seront fixés, expose M. Hijri. On veut utiliser les données génomiques recueillies lors de la première phase pour quantifier et qualifier les espèces présentes. »

Selon le chercheur et étudiant post-doctoral en biologie Denis Beaudet, ces informations seront d’une grande importance pour les agriculteurs. « Les implications du projet seront de rendre disponible et de transférer la méthode et les protocoles d’identification et de quantification afin que ceux-ci soient publiquement accessibles aux laboratoires offrant des services d’analyses aux agriculteurs », explique-t-il.

Autres enjeux

La plupart des phosphates utilisés dans les fertilisants sont issus des mines. Le gouvernement du Québec a d’ailleurs annoncé, l’automne dernier, un investissement de 2 millions de dollars pour le projet d’exploitation d’une mine d’apatite, une forme de phosphate, de la compagnie Arianne Phosphate Inc. Le gisement se trouve sur la Côte-Nord, près du lac Paul. « C’est un mégaprojet, affirme M. Hijri. L’exploitation occasionnera des problèmes environnementaux. »

L’efficacité des champignons mycorhiziens permet une utilisation réduite des fertilisants phosphatés. Toutefois, un emploi plus généralisé de cette technique agricole ne permettrait pas de compter seulement sur les phosphates récupérables dans la nature et de faire une croix sur l’exploitation des gisements miniers, selon M. Hijri. « Ça peut réduire le besoin d’exploitation, mais pas l’éliminer, dit-il. Ce qu’on va essayer de faire avec la mycorhize, c’est d’optimiser son utilisation. »

Premier Tech biotechnologies est le leader mondial en matière de fertilisants mycorhizés. La compagnie travaille à la commercialisation de ces produits depuis 20 ans.

* Premier Tech Biotechnologies, la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec (FPCCQ), le Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels du Québec (CRIBIQ), le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Centre de recherche sur les biotechnologies marines (CRBM), l’UdeM et Biopterre – Centre de développement des bioproduits

Intraterrestre

Les champignons mycorhiziens à arbuscules sont des organismes du sol ayant une organisation génomique parmi les plus complexes connues dans le monde du vivant. Ils ont même déjà été surnommés des « intraterrestres » (intraterrestrial aliens), faisant référence à leur physiologie énigmatique.

De l’eau à la terre

L’association entre plantes et mycorhizes serait vieille de 450 millions d’années. « La vie a débuté dans les océans, raconte M. Hijri. Les plantes primitives n’avaient pas de système racinaire en tant que tel parce que ce n’était pas nécessaire. Seuls des crampons leur permettaient de se fixer sur différents dépôts géologiques. »

Au fil de l’évolution, les champignons mycorhiziens auraient développé un système racinaire primitif et leurs capacités d’absorption des minéraux auraient permis aux plantes de s’adapter à la vie sur Terre. « Les champignons mycorhiziens sont particulièrement efficaces pour aller chercher le phosphore, un élément essentiel à toute forme de vie », affirme M. Hijri.