Chronique : Une langue, une vision du monde

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Par David Santarossa
vendredi 3 mars 2017
Chronique : Une langue, une vision du monde
Communiquer dans une langue correspond également à une vision particulière du monde/ photo : flickr.com/Ferran Jordà
Communiquer dans une langue correspond également à une vision particulière du monde/ photo : flickr.com/Ferran Jordà
Le dernier recensement canadien indique que le poids démographique du Québec dans le Canada diminue depuis 40 ans et rien n’indique que cette tendance s’estompera. Suivant ce constat, il n’est pas surprenant d’apprendre que selon les prévisions de Statistiques Canada pour 2036, le français reculera au Québec comme au Canada. Ces données et prévisions inquiétantes impliquent une réaffirmation de l’importance des études universitaires en français.

Il serait facile de tempérer l’inquiétude d’une baisse d’environ 10% sur vingt ans de la population de langue maternelle française au Québec en brandissant la fermeté de la Loi 101, loi rendant obligatoire l’école francophone sauf pour les enfants provenant de la minorité historique anglophone. Ce serait oublier qu’une telle projection pourrait aussi mener à une baisse de la fréquentation des institutions indispensables à la culture québécoise, à savoir les universités francophones.

La culture québécoise ne peut confirmer son existence en se contentant d’assurer qu’une majorité de Québécois parle français. La question du nombre est importante, la question du statut l’est davantage. Car un grand nombre de personnes qui parlent le français est une donnée superficielle si on ne l’utilise pas pour réfléchir et travailler. L’étude, le travail et la réflexion dans cette langue sont donc des conditions nécessaires à la pérennité d’une culture francophone minoritaire dont la solubilité dans une majorité anglaise reste aujourd’hui possible.

Il est une évidence trop souvent oubliée qu’une langue n’est pas réductible à un simple outil de communication. Ce n’est pas par caprice que les Québécois s’entêtent à vouloir protéger le français, mais plutôt parce que celui-ci est le coagulant d’une culture dont l’apport sur le réel est valable et unique. Parler, mais surtout étudier en français c’est voir le monde selon le prisme de cette langue tout en permettant de comprendre comment cette société francophone pense et agit.

Cette vision du monde particulière se matérialise notamment lorsqu’on observe les cultures anglo-saxonnes qui s’amusent à ridiculiser les débats nationaux français et québécois portant « sur des morceaux de vêtement ». D’excellentes raisons peuvent justifier le refus de tout règlement légiférant le port de signes religieux, on doit néanmoins reconnaitre que ce n’est pas un hasard si ces discussions surgissent dans deux cultures intimement liées par leur histoire et leur langue.

Nos voisins du sud héritent d’une tradition où la séparation de l’Église et de l’État prend la forme d’une neutralité religieuse au nom de la protection des croyances individuelles de chacun. Au Québec, la Révolution tranquille à dissocié ces deux forces politiques afin d’établir une laïcité, et non une neutralité religieuse, qui s’est concrétisée en une proscription des manifestations religieuses dans les institutions de l’État et donc en un refoulement de celle-ci dans la sphère privée. Entre l’idée que tous peuvent porter des signes religieux opposée à celle qu’aucun ne doit être toléré, il existe donc une différence considérable.

Ne nous trompons pas, parler la langue de Molière n’est pas synonyme d’adhésion aveugle à telle forme de laïcité plutôt qu’à telle autre. En revanche, ces réflexions typiquement québécoises sur la laïcité peuvent nourrir les débats autour de cette problématique. Dans un monde où le peuple québécois perdrait ce regard français enraciné dans une culture et une histoire, c’est le monde qui perd une contribution essentielle au débat concernant des enjeux brulants d’actualité.

Ce regard particulier est donc observable en sciences sociales et en sciences humaines, mais on le retrouve aussi dans le monde des affaires comme le soulignait le professeur à HEC Montréal Omar Aktouf lors de la querelle entourant l’enseignement en anglais dans son institution. Le professeur de management soulignait qu’«  en donnant les cours en anglais, on s’approprie la vision américaine des affaires très centrée sur l’individualisme, où l’on voit le travailleur et le citoyen comme des robots employables. » On pourrait ajouter à cette remarque que l’étude en français peut mener à une meilleure compréhension du marché francophone québécois et ainsi mieux en tirer profit.

Le caractère distinctif de la culture québécoise est manifeste. Dans une société où l’on se targue de notre ouverture à la différence, les Québécois et Québécoises doivent reconnaitre la fragilité de leur culture et ainsi profiter des merveilleuses opportunités de dialogues et de recherches qu’offrent les universités francophones du Québec pour déployer leur regard particulier afin d’en enrichir le monde.