Chômeurs et diplômés

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Par Camille Patry-Desjardins
mardi 22 mars 2011
Chômeurs et diplômés

Francophones et hautement qualifiés, les immigrants maghrébins ont du mal à se tailler une place sur le marché de l’emploi. On ne sait plus quoi pointer du doigt pour expliquer la situation : racisme, services mal adaptés, mauvaise foi des ordres professionnels ? Les solutions se font attendre. Et la colère monte.

 

J.E. est originaire du Maroc. Il souhaite utiliser un pseudonyme puisqu’il craint que sa recherche d’emploi ne soit affectée par sa visibilité dans les médias. Détenteur de trois maîtrises et sans-emploi, il intervient régulièrement auprès des instances politiques ainsi que dans les journaux de la communauté sur le problème du chômage affectant les Maghrébins.

 

Son constat n’est pas tendre. Les obstacles à l’intégration économique sont nombreux. En outre, il blâme la culture du réseautage : «Qui dit réseautage dit piston, dit corruption», affirme-t-il, comparant le monde de l’emploi au Québec à une mafia.

 

Le protectionnisme des ordres professionnels ainsi que les failles des programmes gouvernementaux d’intégration à l’emploi figurent également au banc des accusés. «L’État doit être plus proactif dans ses programmes. Ils sont trop courts, ils durent quelques mois, cinq ans au plus, et après, on jette tout ! On n’a pas le temps d’en mesurer les effets positifs», dit Frédéric Castel, religiologue et chercheur à la Chaire en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) à l’UQAM.

 

De l’avis du chercheur, le caractère très récent de l’immigration musulmane, et maghrébine en particulier, complexifie l’interprétation de la problématique du chômage, car elle ouvre grand la porte à la thèse de l’islamophobie. Toutefois, dans les cohortes d’immigrants appartenant à d’autres minorités ethnoreligieuses, les statistiques sont tout aussi catastrophiques, ce qui laisse croire que l’islamophobie ne peut être la seule responsable.

 

Les travaux du chercheur confirment l’idée reçue selon laquelle plus l’immigration est récente, plus le taux de chômage est élevé. Le taux de chômage des Maghrébins arrivés dans les années 1996-2001 est de 32 %. Ce taux tombe à 21 % chez ceux qui sont arrivés cinq ans plus tôt, pour se réduire à 13 % chez ceux qui se sont établis dans les années 1980.

 

Ces données nuancent les hypothèses exclusivement islamophobes ou discriminatoires, «bien qu’il soit incontestable que ces deux éléments ont un impact», souligne Frédéric Castel. J.E. réagit : «Je ne veux pas attendre 20 ans pour trouver du travail!»

 

L’importance du facteur temps dans le processus d’adaptation est frustrant et inéluctable. Ceci, dans un contexte où, selon Emploi-Québec, plus de 640 000 postes seront à pourvoir, à la suite des départs des travailleurs qui grossiront les rangs des retraités, entre 2009 et 2013.

 

Par où commencer?

 

« De s format ions s ’adr e s sant aux employeurs et aux chercheurs d’emploi sont à encourager », dit Frédéric Castel. Celles-ci seraient un pas en avant pour amenuiser les malentendus et mieux saisir les attentes mutuelles.

 

D’autant plus que les employeurs comprennent mal la valeur de la scolarité et de l’expérience acquises au Maghreb, note J.E., qui ne se fait pas prier pour partager d’autres pistes de solution.

 

Il demande une commission d’enquête qui se pencherait sur les causes de ce taux de chômage accablant et sur les voies de sortie possibles. Il semble impératif que les organismes d’aide à l’emploi subventionnés par les ministères spécialisent leurs services, de façon à répondre adéquatement au profil des travailleurs qualifiés.

 

« Nous avons des programmes d’appoint, comme pour ceux qui doivent réussir les examens de l’Ordre des Ingénieurs du Québec », précise Lucie Bérubé, agente au Centre local d’emploi (CLE) de la Côte-des-Neiges. « Mais nos agents ne peuvent pas passer autant de temps avec une seule personne.»

 

Le mandat de ces organismes est surtout d’informer sur l’ABC de la recherche d’emploi : curriculum vitae, techniques d’entrevues, etc.

 

J.E. croit toutefois qu’on devrait imposer un quota aux entreprises pour l’embauche d’employés issus des communautés culturelles, une solution envisageable.

 

C’est ce que tente de pallier le Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME), qui subventionne les employeurs embauchant un individu issu d’une minorité visible, afin qu’il ou elle puisse obtenir une première expérience dans son champ de compétences.

 

Par ces mesures, J.E. espère que le problème du chômage des Maghrébins se résorbera : «Je suis là pour construire le Québec ; je ne suis pas là pour critiquer pour rien!»