Casques, bâtons et arrestations à l’UdeM

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Par Vincent Allaire
mardi 4 septembre 2012
Casques, bâtons et arrestations à l’UdeM
Vers 10 h 10, l'escouade antiémeute arrive devant le pavillon 3200 Jean-Brillant.
Vers 10 h 10, l'escouade antiémeute arrive devant le pavillon 3200 Jean-Brillant.

Les étudiants, les professeurs et les employés de l’UdeM n’ont jamais vu ça pour une journée de rentrée. Le lundi 27 août dernier, les policiers de Montréal ont arrêté vingt personnes à l’UdeM. Dix-neuf d’entre elles sont présentement sous enquête en vertu de la loi 12, car elles sont soupçonnées d’avoir perturbé des cours. Une autre personne est accusée de voie de fait contre des agents de la paix. Chronologie d’un dérapage. 

Lucie Dupuis, directrice de la sécurité de l’UdeM, intervient au 4e étage où le cours d’histoire de l’art avait été perturbé. (Crédit : J. Arthur White)

V ers 9 h 30, sept personnes, dont au moins trois seraient des étudiants de l’UdeM, entrent dans la salle de classe B-4215, où se donne un cours d’histoire de l’art au 4e étage du pavillon 3200 Jean-Brillant. Selon des étudiants en histoire de l’art qui ne participaient pas au cours, les perturbateurs ne sont pas des étudiants en histoire de l’art. Ils protestaient contre le fait que les étudiants du programme avaient reconduit la grève, mais que le cours avait quand même lieu. Des agents de sécurité de l’UdeM sont alors intervenus.

Annie, étudiante à l’UdeM, explique que l’une des personnes qui voulaient perturber le cours est son amie. Elle précise qu’en voyant les agents de sécurité, les perturbateurs ont appelé des renforts à l’aide de leur cellulaire.

Stéphanie est l’une de ces personnes qui sont venues apporter leur aide. Elle dit être arrivée à 10 heures au 4e étage du pavillon. « Les manifestants à l’intérieur de la classe nous demandaient de venir les aider », explique celle qui n’est plus étudiante à l’UdeM. Une fois dans le corridor, elle a vu que les agents de sécurité étaient séparés en deux groupes et qu’ils bloquaient le corridor de part et d’autre. « De notre côté, nous étions une dizaine, se rappelle-t-elle. De l’autre côté, ils étaient entre 15 et 20. Il y avait des gens avec des foulards noirs. Ils se sont concertés entre eux. Ils ont commencé à crier et à répéter de plus en plus fort : “On fonce !” Nous avons foncé en motton sur les agents de sécurité. C’était la première fois que je faisais ça. J’avais déjà participé à des manifestations avant. Cela a pris environ 10 minutes pour que les policiers avec des dossards jaunes arrivent. »

Stéphanie dit vouloir que « la démocratie directe des assemblées générales soit respectée. Que l’administration de l’UdeM ne défende pas ça, je m’y oppose. Il faut défendre le droit de grève des étudiants. »

Justine Chevarie-Cossette, étudiante en études cinématographiques, se rappelle aussi avoir reçu, vers 9 h 25, un message texte lui disant qu’il se passait quelque chose au 4e étage du pavillon Jean-Brillant. « J’étais devant un cours de cinéma et on piquetait symboliquement. Le cours se donnait avec quatre personnes dans la classe. On est alors allé au 4e étage. On est arrivé à 9 h 30. Tout le monde disait que des étudiants et le professeur ne pouvaient pas sortir de la classe à cause des gardiens de sécurité. Des étudiants bousculaient les gardes de sécurité. Dès que j’ai croisé l’anti-émeute, je suis partie. »

Selon le commandant Ian Lafrenière, responsable des relations médias du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), cette inter- vention n’avait « rien à voir avec la loi 12 ». Il explique que « la direction de l’UdeM nous a appelés pour nous dire que des étudiants avaient commis des méfaits et que des sorties d’urgence avaient été bloquées. »

Une dizaine de policiers en dossard jaune attendent les ordres de leurs supérieurs.

Le porte-parole de l’UdeM, Mathieu Filion confirme. Selon lui, même si l’Université a souhaité une rentrée pacifique, la présence policière était nécessaire. « Il y a un moment où il faut faire cette intervention », dit-il.

Les policiers ont alors évacué le corridor du 4e étage. Selon des étudiants rencontrés sur place, les policiers auraient fait sortir la professeure du cours d’histoire de l’art et les étudiants qui y assistaient. Seuls les perturbateurs sont alors restés à l’intérieur de la classe sous surveillance policière. Le SPVM a ensuite formé un cordon pour empêcher l’accès au corridor et à la classe où étaient détenus les sept agitateurs.

Vers 12 h 30, une trentaine d’étudiants, réunis en face du cordon policier, scandaient : « Pas de police à l’UdeM », « No justice, no peace, fuck the police » ou encore « Libérez nos camarades ».

Gabrielle Ladouceur, étudiante en communication à l’UdeM, était présente. « Je suivais les manifestations sur Twitter et CUTV et je commençais à m’inquiéter. C’est pour ça que je suis venue, explique-t-elle. Je pense que c’est inacceptable que ceux qui veulent faire respecter les mandats de grève se fas- sent arrêter. »

Paranoïa

Le président d’une association étudiante raconte comment la police a fait sortir ceux qui voulaient assister au cours, mais pas les perturbateurs, qui eux sont restés en classe. « Ce matin, j’orchestrais ce qui se passait comme piquetage », affirme-t-il. Il ajoute immédiatement qu’il « voulait s’assurer qu’il n’y ait ni grabuge ni problème avec la sécurité. Quand j’ai vu les agents de sécurité séquestrer les perturbateurs dans la classe et faire sortir le professeur et les étudiants, je suis allé chercher quelqu’un de la FAÉCUM. Nous sommes revenus en même temps que la police. À partir de ce moment-là, il n’y avait plus rien à faire. » Il ajoute qu’il ne veut pas s’identifier, car « ça peut revenir contre moi ». « On est tellement paranoïaque ces jours-ci. »

Les policiers ont permis à au moins trois jeunes femmes détenues dans la classe d’aller aux toilettes.

Peu avant 13 heures, le cordon policier recule de quelques mètres pour donner accès à une salle de classe. Une personne de l’administration de l’UdeM annonce alors à voix basse aux étudiants présents : « Nous avons une classe pour le cours d’études internationales. » Quelques applaudissements se font attendre. Pour entrer dans la classe, les étudiants doivent passer devant un cordon d’une douzaine de policiers. Un étudiant en sciences politiques s’exclame alors « c’est dégueulasse » en regardant les policiers, pour ensuite pénétrer dans la salle de cours.

À 13 h 22, la police fait sortir les sept perturbateurs – cinq femmes et deux hommes – par une porte arrière du pavillon 3200 Jean-Brillant. Ils sont embarqués dans un bus de la STM. Les détenus ne portaient pas de menottes, mais étaient encerclés par une dizaine de policiers.

Les étudiants au 4e étage se sont ensuite dispersés… au 3e étage.

La police se préparait depuis deux mois

Ian Lafrenière, explique que les sept personnes détenues dans la classe du 4e étage ont été libérées dans l’après-midi. Ils sont tous sous enquête en vertu de la loi 12. Selon M. Lafrenière, ce sera au Directeur des poursuites criminelles et pénales de décider s’il y aura ou non accusation formelle envers les personnes arrêtées. M. Lafrenière explique que cela fait deux mois que les policiers « se préparent » pour la rentrée universitaire.

Oscar Firbank, professeur à l’École de service social, est venu rejoindre une collègue dans une salle adjacente après à la perturbation. Le cours de sa collègue a été suspendu « à cause des bruits et de la tension existante ». Selon lui, les agents de sécurité ont enfermé les manifestants dans la salle et leur ont demandé de s’identifier avant de pouvoir partir. « Comme d’autres collègues, j’ai été fort surpris que plusieurs médias, dont Radio-Canada et La Presse, signalent que les étudiants “se seraient barricadés” dans la salle. » Selon lui, « les étudiants auraient été séquestrés dans la salle de cours, car ils refusaient de s’identifier au moment où on leur aura demandé de quitter les lieux ».

Marlène Roy, étudiante en travail social, est partie à la fin de son cours pendant l’intervention policière. «Je pensais ne jamais croiser des policiers avec des casques » réagit-elle. Elle se rappelle que « l’alarme d’incendie a été déclenchée à trois ou quatre reprises » un peu plus tôt dans la matinée. Elle dit avoir aussi entendu « des casseroles, du tapage et des applaudissements ». Alors qu’elle sortait, « les policiers nous ont pris en souricière, explique-t-elle. Ils voulaient nous faire sortir. C’est la première fois que ça m’arrivait. C’est de la répression cachée. C’est de l’intimidation. »

M. Filion explique que tous les professeurs et les chargés de cours à l’UdeM ont reçu la consigne de donner leur cours. « Les cours doivent se donner, explique-t-il. Nous ne pouvons plus reporter de cours. La session d’hiver doit se terminer. Le rôle de l’université est de permettre aux étudiants de terminer des cours de qualité. » Il précise que les professeurs et les chargés de cours de l’UdeM ont fourni des plans de rattrapage pour plus de 600 cours.

La secrétaire générale de la FAÉCUM, Mireille Mercier-Roy, a réagi le lendemain par voie de communiqué disant déplorer « la présence massive de l’escouade antiémeute ».

Ludvic Moquin-Beaudry, secrétaire aux communications de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), a qualifié l’intervention de la police sur un campus de « déplorable ».

Laura Hénault-Ratelle, étudiante en droit, dont le cours au pavillon 3200 Jean-Brillant a été annulé, a trouvé regrettables les actions des manifestants. « Je trouve déplorable qu’une minorité cherche à imposer son idéologie à la majorité au nom de la “démocratie étu- diante” », a-t-elle supporté.

De son côté, Barbara Cadet, aussi étudiante en droit, vivait sa première journée à l’UdeM. « Je suis frustrée, dit-elle. C’est vraiment une mauvaise journée pour moi. » 

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Une photo d’arrestation d’étudiants a été enlevée le 12 septembre 2012.