Baiser le monde

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Par Pascaline David
mercredi 19 octobre 2011
Baiser le monde

«Une fois, j’ai rêvé que je baisais le monde, a dit Elias. Je ne sais pas quel âge j’avais, mais je vivais dans une maison quelque part à Montevideo et je m’ennuyais alors je marchais à gauche et à droite et c’est là que j’ai eu l’idée et je suis sorti par la porte de derrière et j’ai sorti ma queue et je me suis mis à baiser la nuit. Je la tringlais. Mais il faisait noir, évidemment, pas moyen d’arrêter. Je ne voyais pas où la nuit prenait fin à cause des horizons ou de je ne sais trop quoi, alors c’était comme si la nuit représentait le monde entier et que je le baisais.

Irma Voth de Miriam Toews

Tu ne baisais pas le monde, a dit Sebastian. Tu te branlais dans le noir comme chaque soir.

Non, mon vieux, a dit Elias. On pourrait penser ça mais c’était différent dans mon rêve.»

Ce savoureux extrait est tiré d’Irma Voth, récit essentiellement autobiographique1 écrit par Miriam Toews.

Irma Voth, jeune mennonite de 19 ans, vit dans une région désertique de Chihuahua, province du Mexique. Reniée par son père parce qu’elle a choisi d’épouser un Mexicain, Irma s’ouvre au monde et se met un peu plus son père à dos lorsqu’elle décide de participer à une production cinématographique mexicaine concernant la communauté mennonite.

Fabuleux récit narré par une jeune femme intègre assaillie de préoccupations sur l’existence, l’amour et l’art, Irma Voth foisonne en personnages tous plus surprenants et complexes les uns que les autres.

Dans le récit, l’écrivain Wilson croit que « les rêves sont comme des oeuvres d’art et que les deux font surgir ce dont on a besoin pour survivre ». Le caméraman Elias explique que son rêve à lui, « c’est moi me disant de baiser le monde. Tel est mon art. Que voulez-vous que je vous dise ? ». Pour sa part, le réalisateur Diego Nolasco estime qu’il faut être prêt à mourir pour mener un film à bien. Jerónimo Galvez Paz, un amoureux désillusionné, ne regrette pas d’arborer à la gorge le tatouage du prénom de la femme qu’il a aimée et qui l’a trompée, puisque chaque fois qu’il s’observe dans le miroir, il se rappelle la douleur et la souffrance que l’amour peut causer. Croisée dans la rue, la toxicomane Lyndsay Beth d’Indianapolis explique que « son cerveau est tellement en bouillie que ses yeux ont une vie propre et que même quand elle sait qu’elle regarde droit devant elle ses yeux en font à leur tête et regardent ailleurs, de côté ou vers le ciel. [NDLR : à l’imparfait dans le texte] ».

La force de l’auteure est de faire passer, discrètement ou à grands coups d’éclat, quantité de personnages sur le parcours de la narratrice. Cela, sans presque jamais en faire la description directe. Elle leur octroie, via le dialogue, une personnalité presque palpable et toujours attachante. Même le pit-bull et le nouveau-né du récit sont des personnages fascinants.

L’écriture de Miriam Toews est riche, drôle, incisive, fluide, et incroyablement vivante. Une oeuvre exceptionnelle, sans aucune longueur, à lire absolument.

 

1. Miriam Toews a grandi dans une communauté mennonite du Manitoba. Elle a interprété un rôle dans Stellet Licht, un film de Carlos Reygadas met en scène une communauté mennonite du nord du Mexique.

 

Irma Voth de Miriam Toews,

Éditions du Boréal, 290 pages.