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Karim Benyekhlef a inauguré le Laboratoire de cyberjustice en 2010. Photo : Benjamin Parinaud.

Au secours de la justice

Quartier Libre : Qu’est-ce que le justice bot ?

Karim Benyekhlef : C’est un projet commandé par la Régie du logement. Elle nous a donné accès à une énorme masse de données qui contiennent plusieurs millions de décisions, pour développer un outil qui permet aux justiciables d’identifier les affaires qui ressemblent le plus à la leur par un agent conversationnel, ou chatbot en anglais. Après plusieurs questions et réponses, le robot peut, par exemple, dire que dans un cas semblable au leur, l’augmentation de loyer était de « tant » et donner des affaires comparables. On évite de donner un conseil juridique, puisque c’est illégal, mais on guide un peu l’individu pour savoir si ça vaut le coup ou non d’aller à la Régie du logement pour contester.

Pour le moment, c’est un projet expérimental. En juin, on devrait avoir un outil qui permettra de répondre à des questions relatives au logement. Je ne sais pas encore s’il sera rendu public, mais on pourrait le tester avec des étudiants, par exemple.

Q.L. : Pourquoi créer ce genre d’outil ?

K.B. : L’objectif essentiel du laboratoire de cyberjustice est l’accès à la justice, mais également d’informer au préalable le public. En général, il faut être très riche ou très pauvre pour avoir accès à la justice. Si vous êtes très pauvre, vous pouvez bénéficier de l’aide juridique. Si vous êtes très riche, évidemment, vous pouvez payer un avocat. Donc une bonne partie de la population n’est pas en mesure d’avoir accès au droit et à la justice. Ce qui fait que la classe moyenne est exclue et beaucoup de gens se représentent seuls.

Q.L. : Y a-t-il un danger d’inclure l’intelligence artificielle en justice ?

K.B. : Il faut quand même être prudent. Ce n’est pas parce que c’est moderne et nouveau que c’est nécessairement compatible avec les exigences de justice. Pour le type d’outil que nous développons, il y a peu de dangers. Ce sont surtout les outils prédictifs se basant sur des statistiques, qui peuvent avoir une influence sur le décideur. Par exemple, dans le cas d’un outil qui dirait à un juge que dans 86 % des cas semblables, la sentence a été huit ans, ce dernier va se sentir presque obligé de faire pareil. Alors qu’on sait qu’en droit, chaque cas est différent.

K.B. : Les outils prédictifs aussi figent le droit, parce qu’ils se basent sur le passé. Un algorithme ne peut pas prendre en compte l’évolution sociopolitique de la société. C’est quelque chose de très diffus mais que nous, êtres humains, voyons et ressentons.

Q.L. : Cela permettrait-il de désengorger le système judiciaire ?

K.B. : Les juges qui sont nommés à la Cour supérieure ont des compétences en tout et peuvent juger d’affaires dans tous les domaines. Si on peut faire en sorte d’enlever les affaires de basse intensité, soit des affaires simples, qui ne feront pas jurisprudence, devant les tribunaux, les juges pourront se concentrer sur les affaires plus complexes qui demandent vraiment leur attention. Je préfère confier ce genre d’affaires à un juge plutôt que de savoir si ma machine à laver doit être remboursée. L’intelligence artificielle pourrait permettre de désengorger les tribunaux, pas seulement judiciaires, mais également les tribunaux administratifs.

Q.L. : Y aurait-il d’autres applications pour ce type de robot conversationnel ?

K.B. : Là, on développe une matrice en matière de logement, mais d’autres collègues américains travaillent sur les réclamations des vétérans de l’armée. [Cette matrice] pourrait être utile en droit de l’emploi ou de la consommation, pour les tribunaux administratifs. Nos rapports avec la justice pour l’homme et la femme ordinaires, ce n’est pas une affaire constitutionnelle. Ce sont des conflits de basse intensité. Ils sont importants pour ceux qui les vivent évidemment, mais ils ne sont pas complexes sur le plan juridique. Il y a des moyens de les régler sans que le citoyen ait le fardeau de contester les clauses d’un contrat, par exemple.

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