Au-delà du dégoût

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Par Edouard Ampuy
mercredi 29 janvier 2020
Au-delà du dégoût

Pour ce premier numéro de l’année nous traitons de la précarité menstruelle. Un sujet enveloppé de tabou, et absent du débat public. Pourtant, un million de femmes au Canada ont des difficultés à se payer des protections hygiéniques, selon l’ONG Plan international Canada.

Alors pourquoi ne les entendons-nous pas ? Pourquoi ce silence ?

Parce que le système actuel dominé par le patriarcat, attache aux menstruations un sentiment de honte. À la manière d’une tâche de sang, le dégoût masculin s’avère difficile à éliminer.

En 2018, l’entreprise de protections hygiéniques Thinx a mené une enquête pour analyser la perception des règles. Près de 60 % des femmes interrogées ont déclaré se sentir honteuses pendant leurs menstruations. Du côté masculin, plus de la moitié des hommes interrogés jugent inapproprié que leurs collègues mentionnent ouvertement leurs règles au bureau. Ces schémas se répètent jusqu’à la municipalité de Montréal où l’entreprise Mme l’Ovary, spécialisée dans les culottes menstruelles, a récemment déposé un mémoire qui propose le remboursement de protections hygiéniques durables. La cofondatrice raconte que beaucoup de femmes du conseil municipal sont venues les remercier « d’oser parler de menstruations », car « c’est effectivement rare que la politique et les menstruations soient liées. » (p. 11)

Parce que les saignements menstruels, pour la société c’est imbuvable. Au point où les règles sont représentées par un liquide bleu fluo dans les publicités pour tampon ou serviette hygiénique. Les femmes de Vénus existent.

Pourtant, l’intimité des femmes semblent intéresser les Canadiens, du moins quand on parle de sexe. Fin 2019, le site pour adulte Pornhub a publié ses chiffres de l’année, la catégorie « lesbienne » est la plus populaire, et le terme « masturbation féminine en solo » a été la recherche la plus tendance de l’année. Un premier exemple de l’hypocrisie dans le tabou. La femme est sexualisée à outrance, mais dès que l’on rentre dans l’intimité de son fonctionnement physiologique, elle est laissée à elle-même. Nous sommes donc tout à fait prêts à voir un clitoris en gros plan sur notre ordinateur, mais nous tournons de l’œil à la vue de la moindre goutte de sang. Clairement, les sécrétions vaginales n’ont pas le même succès selon le contexte.

Du côté des réseaux sociaux, même jeu d’hypocrite. En 2015, une photo de la poète canadienne Rupi Kaur, sur laquelle apparait son sang menstruel, a été censurée deux fois par Instagram. Quelle ironie. Le réseau social, par soucis de « bienséance », censure la vie quotidienne des femmes sans se soucier de l’hypersexualisation qui règne sur sa plateforme. « Je ne m’excuserai pas de ne pas nourrir l’ego et la fierté d’une société misogyne qui accepte de montrer mon corps en sous-vêtements, mais est mal à l’aise devant une petite fuite »*, dénonce l’artiste dans un message. Décidément, les règles c’est vulgaire.

Si les cinquante dernières années ont été le théâtre de la révolution et de la libération sexuelle, il est probablement temps de briser le tabou et d’entamer la prochaine étape : celle de la solidarité menstruelle.

Il est probable que des femmes ne veulent pas parler de leurs menstruations car cela relève de l’intime. Mais si elles le font, il revient à nous les hommes d’écouter et d’être empathique plutôt que de qualifier la conversation d’inappropriée, ou de faire des blagues sur leur humeur.

En refusant aux femmes le droit de s’exprimer, nous leur refusons l’accès à des aides pour une charge qui est lourde émotionnellement, mentalement, physiquement et financièrement. Nous diminuons la douleur associée aux menstruations et les complications en lien avec la prise de la pilule ou la pose d’un stérilet. Nous devrions créditer l’importante responsabilité qu’ont les femmes d’observer le cycle menstruel pour éviter une grossesse.

Puisque les hommes seront à jamais incapables de comprendre l’expérience menstruelle, il faudrait commencer par ne pas la juger et soutenir les femmes pour les aider à traverser cette épreuve avec plus de sérénité.

Parce que si les hommes saignaient une semaine par mois, nous aurions déjà instauré des congés menstruels depuis longtemps.

* Traduction libre