Apprendre à communiquer avec l’aphasie

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Par Félix Raulet
lundi 16 décembre 2019
Apprendre à communiquer avec l’aphasie
L'équipe du Service aux proches d'une personne aphasique (SAPPA) Photo : Courtoisie SAPPA
L'équipe du Service aux proches d'une personne aphasique (SAPPA) Photo : Courtoisie SAPPA
Le projet Service aux proches d’une personne aphasique (SAPPA) a pour but de soutenir les personnes touchées par une perte partielle ou totale des facultés de communication dans leur quotidien. Financé par l’Appui pour les proches aidants d’aînés de la région de Montréal, ce projet soutient et aide les proches aidants, en leur enseignant des stratégies de communication personnalisées.
« C’est important que le proche aidant soit tout aussi outillé que la personne aphasique elle-même. »
Marie Gagnon-Brousseau Orthophoniste et coordinatrice au SAPPA

Selon l’Association Québécoise des Personnes Aphasiques (AQPA), l’aphasie peut être causée par un accident vasculaire cérébral, un traumatisme crânien, une tumeur, un anévrisme, une infection ou de la dégénérescence cérébrale. En fonction de la zone atteinte au cerveau, l’aphasie est différente.

«L’arrivée de l’aphasie provoque un immense bouleversement dans les familles, explique la professeure agrégée d’orthophonie et d’audiologie à l’UdeM, Claire Croteau. Du jour au lendemain, la communication se trouve compliquée et ça crée beaucoup de frustrations. »

Mme Croteau a lancé le SAPPA en 2013, auquel elle contribue depuis. Ce service est un projet élaboré en collaboration avec l’Association québécoise des personnes aphasiques (AQPA). « Souvent, avec l’aphasie, le langage entier va être touché, écrit comme oral ; la lecture va être plus difficile, l’écriture aussi », souligne-t-elle. L’objectif du SAPPA est d’outiller au mieux les familles pour leur permettre de communiquer autrement, malgré les défis posés par ce trouble du langage.

Des outils concrets pour communiquer

« La personne aphasique doit apprendre à faire des gestes, à utiliser des choses autour d’elle, à pointer davantage pour qu’on comprenne ce qu’elle veut dire », précise l’orthophoniste du SAPPA, Marie Gagnon-Brousseau. Il faut inventer de nouvelles manières de se comprendre, parfois sans utiliser le langage. « Il faut que la communication verbale soit complétée par la communication non verbale », ajoute-t-elle.

De leur côté, les proches doivent se montrer patients et compréhensifs. « Souvent, dans les aphasies plus sévères, l’interlocuteur ou le partenaire doit supporter la communication, que ce soit en écrivant des mots-cléfs pendant celle-ci, pour qu’il y ait un support visuel, ou en faisant des phrases plus courtes, en reformulant ce qu’il a compris des propos de la personne aphasique pour être sûr qu’il n’y a pas eu de malentendu », développe Mme Gagnon-Brousseau.

Mme Croteau remarque que les familles et proches de la personne aphasique veulent souvent que celle-ci dise le bon mot, fasse de belles phrases, et vont parfois jusqu’à la corriger. « Ce sont des comportements qui ne sont pas nécessaires, indique-t-elle. Si une personne aphasique ne peut plus nommer ses petits-enfants, on va lui dire qu’elle peut faire un clin d’œil dès qu’elle les reconnaît. » Elle rappelle qu’après un AVC ou un traumatisme crânien ayant entraîné une perte partielle ou complète des capacités de communication, il ne faut pas espérer pouvoir entretenir une conversation parfaite. « L’important, pour les familles, c’est qu’il puisse y avoir une communication agréable, même si elle n’est pas équivalente à la communication pré-aphasique », insiste la professeure.

Pour communiquer avec son épouse, atteinte d’une maladie neurodégénérative ayant entraîné une aphasie, Jean-Yves Laberge a dû améliorer sa capacité d’écoute de l’autre. « Pour communiquer, il faut toujours être en face de la personne, la regarder dans les yeux, que ce soit calme derrière, explique-t-il. Avant de faire quelque chose, il faut toujours demander à la personne aphasique et lui laisser quelques secondes avant d’agir, pour qu’elle prenne conscience de ce qu’il va se passer. »

Un accompagnement complet

En soutien avec une travailleuse sociale, le projet SAPPA aide également les familles à accepter les nouvelles dynamiques que l’aphasie crée au sein d’une famille. « L’aphasie entraîne des changements au niveau du langage, mais aussi du point de vue physique, et les rôles peuvent changer dans la famille ou dans le couple », spécifie Mme Gagnon-Brousseau. Mme Croteau ajoute qu’au départ, certaines familles ne se parlent même pas. « Dans ces familles, on fait en sorte que la communication existe davantage », déclare-t-elle.

Il faut tout repenser dans les familles dont une personne vit avec l’aphasie. « Apprendre à communiquer autrement, c’est compliqué , avoue Mme Gagnon-Brousseau. Les proches veulent aider au maximum la personne aphasique et espèrent parfois qu’elle va réapprendre à parler comme avant », précise-t-elle. Pour arriver à une nouvelle forme de communication, il est important que des efforts soient faits chez la personne aphasique comme chez les proches avec qui elle vit. « C’est important que le proche aidant soit tout aussi outillé que la personne aphasique elle-même », note l’orthophoniste.

Tous les conseils qu’il a reçus ont permis à Jean-Yves Laberge de persister. Il confie que la communication n’est pas comme avant, mais qu’il a appris à vivre avec. « Il y a des jours où je suis triste, mais je ne suis pas dévasté, rassure-t-il. Chaque jour est un cadeau. »

Des familles reconnaissantes

Les familles sont reconnaissantes envers le SAPPA, d’autant plus que l’accompagnement est personnalisé. « Il fait un énorme travail, vraiment spécifique, pour des clients vraiment spécifiques, explique M. Laberge. Il nous a initiés à des façons différentes de faire les choses. Mon épouse et moi, on a gagné en attention, et j’ai appris qu’avec des gestes simples et mieux coordonnés, la communication peut être améliorée », poursuit-il.

M. Laberge considère que les personnes qui requièrent une attention particulière et ne sont pas indépendantes sont écartées socialement. « La réalité, c’est que la société est faite pour ceux qui sont autonomes, déplore-t-il. Ceux qui ne le sont pas sont mis de côté. » Pour lui, il faut inclure davantage les personnes atteintes de troubles de la communication.

« Plus le public va être sensibilisé à ces troubles, plus les personnes qui en sont atteintes vont pouvoir participer à la vie sociale », observe Mme Gagnon-Brousseau.

Mme Croteau espère que la situation changera à l’avenir et regrette la faible sensibilisation de la société quant aux troubles de la communication.