Alain Turgeon : Avec queue et tête

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Par Andreanne Chevalier
mardi 17 avril 2012
Alain Turgeon : Avec queue et tête

Alain Turgeon a troqué une vie qui le répugnait pour devenir écrivain. Québécois d’origine, il a émigré en France il y a 18 ans. Qualifié d’« obsédé texto-sexuel » par le magazine français VSD, l’auteur a présenté son cinquième roman, Anamoureux préparturient, au Salon international du livre de Québec. Quartier Libre l’a attrapé au vol, sur Skype, pour discuter de son parcours.

Quartier Libre : Vous êtes de – venu ingénieur informatique après des études à l’École Polytechnique de Montréal. Quels souvenirs avez-vous de cette période ?

Alain Turgeon : L’année où je suis arrivé aux résidences, c’était la dernière année où les garçons et les filles étaient séparés. Ensuite, la mixité, c’était fabuleux! Les chambres étaient petites, mais c’était sympa et pas cher. Il y avait du monde, des choses à faire. Je dirais que mes études d’ingénieur ont gâché ma période universitaire. Autrement, j’aurais beaucoup aimé ça être à l’université.

Q. L. : En début de carrière, vous avez quitté votre emploi au Québec pour déménager en France. Qu’est-ce qui a motivé ce changement ?

 A.T. : Le désespoir. J’étais ingénieur junior chez Lavalin. Un jour, je me suis rendu compte que mon boulot, c’était d’être devant un ordinateur toute la journée. J’avais 23 ans à ce moment-là. En regardant mes collègues, je me suis rendu compte que, sur mon étage, c’était un gars de 39 ans qui occupait le meilleur bureau. Tout le monde se battait pour avoir ce bureau. Tout d’un coup, j’ai pris conscience que si tout allait au mieux – ce qui était loin d’être sûr – le meilleur qui pouvait m’arriver, c’était d’être à sa place dans 16 ans.

Entre-temps, j’avais rencontré une Lyonnaise dont j’étais tombé amoureux. Du coup, j’ai pris un aller simple vers la France pour la rejoindre. Je ne savais pas quand j’allais revenir. Après, j’ai travaillé en France comme ingénieur encore trois ans .

Q. L. : Comment expliquer votre «dérive » vers la littérature ?

A.T. : Je n’arrivais pas à m’intégrer dans la société du travail française. J’ai eu quatre emplois en trois ans. Je me suis fait licencier chaque fois. Et puis là, il a fallu que je me rende à l’évidence : ce n’est pas ce monde-là qui n’est pas fait pour moi, c’est moi qui n’étais pas fait pour ce monde-là.

Le dernier travail d’ingénieur informatique que j’ai eu, ça devait être en 2000 ou en 2001. Je travaillais dans une boîte qui gérait du combustible nucléaire. C’était l’horreur! Je cachais des bouquins dans le double plafond des toilettes, puis je m’absentais de mon bureau pendant des heures pour aller lire aux toilettes. Je me suis fait virer. C’est après que j’ai renoncé à trouver des boulots d’ingénieur .

Ça a également commencé à aller moins bien avec cette fille que j’aimais au départ. Ma profession, c’était de la merde. J’étais profondément découragé. Je me demandais si j’allais rentrer ou pas, divorcer ou pas. C’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais essayer d’être écrivain. Puis, j’ai rencontré une autre fille. Au bout de deux ans, on avait un enfant. Donc après, la question du retour, elle ne se posait plus.

Q. L. : Comment l’écriture donne-t-elle un sens à votre vie?

A.T. : Ça me permet d’exprimer tout ce avec quoi je ne suis pas d’accord. Les relations amoureuses, par exemple. Pendant des milliers d’années, les hommes et les femmes ont dû, pour accéder à la sexualité, se marier et avoir des enfants. Dans les années 1960, la contraception s’est répandue dans tout l’Occident et, à partir de ce moment-là, il a été possible pour une femme d’avoir une relation sexuelle avec un homme sans nécessairement l’épouser ou passer pour une salope. Je suis un enfant de cette époque-là. Mais toute cette histoire qui s’est transmise jusqu’à nous depuis si longtemps a des effets dans nos têtes, dans notre éducation, notre façon de penser. J’ai essayé, je me suis marié, j’ai vécu en concubinage. C’est un schéma qui ne me convient pas. Je trouve que faire l’amour toute sa vie avec la même personne, c’est dégoûtant. Je ne suis pas du tout à l’aise là-dedans.

Q. L. : Des critiques littéraires en France vous qualifient d’hurluberlu et d’énergumène. Qu’estce que ça vous fait ?

A.T. : J’aime ça ! La littérature, ça sert à surprendre les gens. Si j’écrivais de la même façon que tout le monde, ça n’aurait aucun intérêt ! J’ai juste à être naturel, et c’est provocant. Ça choque et ça suscite aussi de l’admiration. Tous ces qualificatifs, c’est parce que j’ai un style particulier. J’ai ma propre grammaire, ma propre syntaxe. J’invente des mots quand j’en ai besoin. Je joue avec la langue, je fais des jeux de mots. J’écris en France du québécois que les Français peuvent comprendre.

Anamoureux préparturient, collage d’autofiction

Derrière un titre aux néologismes énigmatiques se cache une autofiction candide, remplie d’humour et de jeux de mots. Comme le dit luimême Alain Turgeon: «Je n’ai pas beaucoup d’imagination. C’est à 80 % ma vie. C’est ma réalité travestie.» L’histoire, ou le collage d’histoires, commence par une partie de golf avec l’ami Jean-Pierre pour se terminer par la rencontre d’une touriste coréenne. Les chapitres défilent comme la vie, sans nécessairement suivre une trame précise. Ce qui les relie, c’est la lutte constante de l’homme de la quarantaine, complètement fauché, qui angoisse à chaque rendez-vous au sujet de la facture tout en jonglant avec son obsession contrôlée du sexe .

Alain Turgeon, Anamoureux préparturient, Éditions La fosse aux ours, 2011, 185 p .

Sur la hausse des frais

 Étudiant à Polytechnique à la fin des années 1980, Alain Turgeon est contre la hausse des frais de scolarité décrétée par le gouvernement libéral. « Déjà, à mon époque, ça se discutait, la hausse des frais, raconte-t-il. C’est pourri qu’on en soit encore là, plus de vingt ans après. C’est toujours les étudiants qui vont payer pour être admis à l’université. Qu’est-ce qui nous reste comme richesse ? Effectivement, il y a le Grand Nord, mais la richesse qu’on a, c’est quand même le potentiel humain. Moins il y a de gens qui accèdent à l’université dans notre société, moins elle sera capable de se défendre ou d’innover plus tard.»

PHOTO : Alain Turgeon (Courtoisie)