Ainsi parlait François Pérusse

icone Societe
Par Mariam Moustakaly
mardi 20 mars 2012
Ainsi parlait François Pérusse

L’humour peut être un excellent moyen de faire comprendre des concepts philosophiques ardus, soutient Alexandre Lavallée, conférencier dans le cadre de Philopolis le 12 février dernier (voir encadré). En utilisant les capsules radiophoniques de François Pérusse pour illustrer ses propos, il montre que la pensée de Friedrich Nietzsche pourrait se révéler aussi efficace qu’une thérapie dans le traitement de la souffrance psychologique.

selon le philosophe Alexandre Lavallée, humour et sagesse font bon ménage pour dépoussiérer les classiques. Courtoisie Alexandre Lavallée

Un banlieusard est déchiré entre la frustration de voir son voisin laisser son chien faire ses besoins dans son jardin et la peur d’aller lui parler. Un employé en dépression accuse le mobilier de bureau qui l’entoure de son mal-être. Autant d’exemples extraits de la galerie des personnages de l’humoriste François Pérusse utilisés par Alexandre Lavallée pour accompagner son discours. L’étudiant-conférencier écrit son mémoire de maîtrise en philosophie à l’Université Laval sur la manière d’interpréter la pensée de Nietzsche en tant que thérapie.

« L’idée m’est venue en écoutant une capsule dans laquelle un personnage avaient une attitude qui me rappelait les caractéristiques d’un état maladif décrit par Nietzsche, se rappelle-t-il. J’ai ensuite écouté tous les tomes de François Pérusse et plusieurs 2 minutes du peuple à la recherche de sketchs qui illustraient des éléments présents dans sa philosophie », se rappelle M. Lavallée. Il a finalement identifié une douzaine de gags pertinents, un « processus long mais amusant », selon lui.

« L’humour n’est pas beaucoup utilisé dans les conférences philosophiques. Pourtant, lorsqu’il est intelligent, il est souvent porteur de messages philosophiques. C’est par exemple le cas d’un bon nombre d’épisodes de la série South Park », considère-t-il. « Je crois qu’il ne faut pas snober la modernité en restant prisonnier de la tradition, comme le font tristement plusieurs philosophes », soutient M. Lavallée. Selon lui, l’humour peut être une nouvelle voie d’enseignement de la philosophie, car il revient souvent à exagérer une situation, à prendre un recul par rapport à la vie quotidienne.

philosophie de vie

Tous les moyens sont bons puisque cette démarche de vulgarisation est d’intérêt public, selon M. Lavallée. « La pensée de Nietzsche est beaucoup axée sur la santé et la maladie, qu’il identifie à la décadence, à la faiblesse, au ressentiment. Il offre des cadres pour guérir et s’en sortir, un thème qui est intéressant et pertinent pour tout le monde », explique-t-il.

Nietzsche encourage ses lecteurs à développer leur sentiment de puissance, que l’on peut traduire par un sentiment de fierté ou de respect de soi (voir encadré). Les dépressions et les suicides sont le plus souvent engendrés par une perception négative de soi, par un sentiment d’impuissance constant. Il est tout à fait possible que la philosophie nietzschéenne puisse « guérir » la souffrance engendrée par cette interprétation, propose Alexandre Lavallée.

Pour renoncer aux valeurs négatives et les surmonter au profit de nouvelles valeurs positives et créatrices, il faut considérer les périodes les plus difficiles comme des périodes nécessaires à la construction de cette puissance, comme des transitions. La littérature populaire regorge de témoignages provenant d’individus qui, suite à un changement de perspective, se considèrent « guéris » de certains états qui incluaient une souffrance psychologique, un poids.

Si ces expériences confirment que l’on peut «guérir» en remettant en question sa façon de voir les choses, on ne suit toutefois pas une philosophie comme on suit un régime, prévient M. Lavallée. Les personnages interprétés par François Pérusse auraient tout intérêt à suivre les préceptes de la philosophie nietzschéenne. Mais ce faisant, seraient-ils aussi drôles ?

 

La philo sort de sa tour d’ivoire

Organisé tous les ans depuis 2008 par des étudiants de quatre facultés de philosophie de Montréal (Concordia, UQAM, McGill et UdeM), Philopolis est un cycle de conférences, de débats et de tables rondes gratuites qui a regroupé près de 90 activités et plus de 100 heures de discussions sur une fin de semaine pour son édition 2012, les 11 et 12 février derniers. Professeurs et étudiants partagent leurs connaissances avec le grand public dans cet espace d’échange très ouvert que les organisateurs veulent comme une sorte de « bazar philosophique ». L’accent est mis sur les questions actuelles comme les gaz de schiste ou la hausse des frais de scolarité.

 

Sentiment de puissance : le renforcement positif selon Nietzsche

Il s’agit d’un sentiment de fierté et de respect de soi-même intimement lié au bien-être et à la santé, qui colore positivement notre expérience des événements. Pour l’acquérir, il faut avoir conscience que l’on possède une certaine force et, pour avoir conscience que l’on possède cette force, il faut l’exercer. Un des principaux moyens de développer ce sentiment de puissance, c’est donc d’employer nos connaissances afin de créer quelque chose : une peinture, un article, un projet, une idée, un meuble, de la musique, un mouvement social, etc. C’est pourquoi la philosophie de Nietzsche est une philosophie de l’action.