À la croisée des chemins

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Par Thomas Martin
lundi 18 février 2019
À la croisée des chemins
Le Campus Mil peut devenir un formidable lien entre Outremont et Parc-Extension ou bien renforcer les inégalités. (Crédit photo : Pixabay.com I robinbreck)
Le Campus Mil peut devenir un formidable lien entre Outremont et Parc-Extension ou bien renforcer les inégalités. (Crédit photo : Pixabay.com I robinbreck)

Il ne reste que quelques mois avant l’ouverture officielle du campus MIL, prévue pour septembre 2019. Mais les effets de cette arrivée se font sentir depuis un certain temps déjà.

Revitaliser l’ancienne gare de triage d’Outremont est une idée qui a du sens et le futur complexe udemien devrait créer un lien entre les différents tissus urbains qui l’entourent. En tout cas, l’Université a le mérite de redonner vie à un secteur tombé en désuétude.

Alors pourquoi le chantier universitaire le plus important au Canada crée-t-il des tensions autour de sa venue ?

À l’image de ce qui est en train de se passer dans certains quartiers du Sud-Ouest de Montréal, comme Saint-Henri où les loyers ont subi une hausse de 19,8 % entre 2011 et 2016(1), l’arrondissement Parc-Extension pourrait voir le phénomène d’embourgeoisement s’accélérer de manière drastique au cours des prochaines années si les pouvoirs publics ne contrôlent pas la situation.

Prendre ses responsabilités

L’UdeM fait sa part pour atténuer le phénomène, puisqu’elle annonce 30 % de logements sociaux et abordables sur les 1 300 unités qu’elle compte inclure dans le projet. Depuis 2005 et l’adoption de la Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les projets résidentiels, c’est le minimum requis pour les projets immobiliers. L’UdeM se contente donc du minimum.

C’est souvent la même mécanique qui se met en place. L’annonce d’un projet de cette ampleur attire toutes sortes de personnes prêtes à en profiter. À commencer par les promoteurs.

Mais c’est à la ville et à l’arrondissement d’en faire plus pour les résidents de Parc-Ex, l’un des quartiers les plus défavorisés au Canada(2). Lorsque le propriétaire du Plaza Hutchinson, immeuble regroupant des organismes communautaires et des commerçants de quartier, souhaite l’éviction des locataires pour en faire un complexe immobilier de luxe, la mairie d’arrondissement doit imposer un quota de logements sociaux. À la place, elle a validé le projet sans sourciller(3). L’intérêt des citoyens doit passer avant celui des promoteurs, et non l’inverse.

« L’Université a cédé des terrains à la ville pour qu’il y ait des constructions de logements abordables, justement pour les gens du quartier », indique l’attachée de presse de l’UdeM, Julie Cordeau-Gazaille. Espérons que la population du quartier soit prise en compte dans les futurs projets. Si la ville est capable de dépenser 1,2 million de dollars pour une œuvre aux abords du campus MIL, elle peut mettre en place des actions, qu’elles soient économiques ou urbanistiques, pour aider les habitants du quartier.

Une population à prendre en compte

Face à ce projet qui va bouleverser le quotidien du quartier, les commerçants présents depuis des années et souvent issus de l’immigration ne prennent pas la mesure réelle des changements qui s’opèrent autour d’eux. « Ça va être bon pour l’immobilier et pour la communauté du quartier », déclarait Casey, propriétaire du dépanneur du même nom, interrogé par Quartier Libre en octobre dernier(4). Je ne serais pas aussi optimiste que lui pour être bien franc, car même si l’afflux de population devrait lui être profitable à court terme, l’augmentation des loyers et l’ambition des promoteurs pourraient nuire à son commerce d’ici quelques années.

Des initiatives actuelles mises en place sur le campus MIL permettent de créer un lien avec les habitants proches, comme le Festival de la décroissance ou les différents projets d’agriculture urbaine qui s’y sont installés au moment des travaux. Il serait bien que cela se poursuive après l’inauguration.

Une idée comme ça. Le projet de cours de français donnés par des étudiants de l’UdeM auprès des commerçants de la Plaza Côte-des-Neiges, lancé par le Bureau de valorisation de la langue française et de la Francophonie de l’UdeM en janvier 2017(5), pourrait connaître une nouvelle itération aux alentours du campus MIL. Pour permettre l’adoption d’un projet, il faut impliquer les acteurs du milieu, et le partage d’une langue commune peut favoriser l’adhésion.

Alors oui, le campus MIL sera beau, flambant neuf et doté d’œuvres impressionnantes, mais il devra également refléter l’identité d’un quartier cosmopolite et moins bien nanti, sous peine de créer une frontière encore plus marquée entre Outremont et Parc-Extension.

1. Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages, 2016. 2. Selon une enquête menée par Centraide et L’Institut national de la recherche scientifique en 2016. 3. ici.radio-canada.ca, « Trois arrestations à la suite d’une manifestation contre l’embourgeoisement dans Parc-Extension », 9 août 2018. 4. quartierlibre.ca, « À la rencontre des commerçants de Parc-Extension », 25 octobre 2018. 5. quartierlibre.ca, « Dons de français », 27 janvier 2017.