À chances égales

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Par Chloé Dioré de Périgny
jeudi 17 janvier 2019
À chances égales
L'UdeM participe au programme de formation de médecins des Premières Nations et des Inuits du Québec. Crédit photo : Zacharie Routhier.
L'UdeM participe au programme de formation de médecins des Premières Nations et des Inuits du Québec. Crédit photo : Zacharie Routhier.
Au Canada, la discrimination positive peut être utilisée par les universités depuis 2008. Celle-ci a pour objectif d’offrir un accès équitable à certains programmes d’études et aux chaires de recherche. Onze ans plus tard, Quartier Libre dresse un portrait de la situation.
« C’est évident qu’une femme professeure d’université, qui a eu des enfants, aura eu plus de difficultés pour dresser le dossier de chercheur nécessaire pour accéder à un niveau de chaire. »
Marie-Odile Magnan Professeure au Département d’administration et fondements de l’éducation de l'UdeM

«Il faut donner aux étudiants issus de groupes défavorisés le coup de pouce nécessaire pour franchir la porte de l’université », estime le professeur à la Faculté de droit à l’Université Laval Louis-Philippe Lampron. Il considère que cela est parfois suffisant pour permettre à un étudiant de devenir avocat ou médecin. « Si l’on reste aveugle aux déséquilibres sociaux, on perpétue les désavantages et il n’y aura jamais d’Autochtones établis de façon durable dans nos établissements supérieurs. »

La professeure au Département d’administration et fondements de l’éducation l’UdeM Marie-Odile Magnan note que les groupes majoritaires se sentent parfois menacés. « Ils perçoivent une forme de racisme inversé, comme on attribue une chance à un autre groupe que le leur, et ils se demandent si c’est juste », regrette la sociologue de l’éducation. À cela, elle rétorque que ces mesures sont mises en place pour rétablir l’égalité des chances et corriger les iniquités entre les différents groupes sociaux, même si cela est parfois difficile à accepter.

M. Lampron précise que ces mesures de discrimination positive doivent être temporaires, pour permettre aux minorités de profiter des mêmes possibilités que les autres. « Si ces programmes deviennent permanents, cela signifie qu’ils ne sont pas efficaces, nuance-t-il. Idéalement, il faudrait travailler de façon systémique sur la source même du déséquilibre. »

La situation québécoise

Dans la province, la discrimination positive à l’admission est moins présente que dans le reste du Canada. Selon la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, elle est adoptée uniquement dans les programmes sélectifs de médecine, notamment pour offrir des places réservées aux Premières Nations, aux Inuits et aux francophones hors Québec.

Par exemple, chaque année, quatre étudiants détenant le statut d’Autochtone peuvent profiter de critères de sélection différents dans l’ensemble des facultés de médecine du Québec. À titre de comparaison, c’est deux fois moins qu’à l’Université d’Ottawa et trois fois moins qu’à l’Université de Colombie-Britannique. D’autres universités, comme celle de Calgary, n’offrent pour leur part pas de places désignées.

Dans les chaires de recherche

Des mesures de discrimination positive existent également dans la recherche. L’UdeM a adopté un Plan d’action en matière d’équité à cet égard en 2017, suivant les recommandations du gouvernement fédéral. Celui-ci vise à corriger la sous-représentation des femmes et des minorités visibles parmi les titulaires de chaires.

Dans le cadre du Plan, cette volonté se traduit principalement par une plus grande transparence et ouverture du processus d’attribution des chaires, notamment en encourageant des personnes issues de groupes marginalisés à postuler.

Par exemple, les appels de candidatures portent maintenant cette mention : « L’appartenance à l’un des quatre groupes désignés [femmes, minorités visibles, personnes en situation de handicap, Autochtones] constituera un élément stratégique important dans l’évaluation institutionnelle. » Depuis la mise en œuvre du programme, la proportion de candidatures présentées par des femmes est passée de 30 % à 43 % au Canada.

« C’est évident qu’une femme professeure d’université, qui a eu des enfants, aura eu plus de difficultés pour dresser le dossier de chercheur nécessaire pour accéder à un niveau de chaire, justifie Mme Magnan. Si on prend en compte le critère de méritocratie [hiérarchie sociale fondée sur le mérite], ça peut être difficile à accepter. » Il faut cependant envisager la question sous un angle plus large, selon elle.

Une marche encore longue

Malgré les efforts adoptés pour la démocratisation des études supérieures, la professeure de sociologie déplore que les inégalités perdure. Si les étudiants accèdent de façon massive à l’université au Canada, elle témoigne que selon des recherches faites à l’UdeM1, ceux étant originaires d’Haïti ou d’Afrique subsaharienne décrochent plus souvent avant l’obtention de leur diplôme. « C’est beau de donner l’accès à l’université, mais il faut s’interroger sur ce qu’on peut faire de plus, repenser nos pratiques et nous adapter à une clientèle étudiante hétérogène », lance-t-elle.

M. Lampron ajoute qu’il faut garder en tête les raisons pour lesquelles ces programmes sont mis en place et donner aux étudiants l’accompagnement suffisant en tenant compte de leur réalité. « Si on les abandonne juste après avoir fait augmenter nos statistiques sur l’inclusion, c’est juste du color washing (2) », dit-il. Le professeur s’inquiète qu’ainsi, les objectifs ne soient pas atteints et que cela envoie un message négatif aux élèves admis grâce à ces mesures.

1. Familles d’origine immigrante au Québec : enjeux sociaux, de santé et d’éducation (2011), sous la direction de Fasal Kanouté et Gina Lafortune.

2. Bénéficier des retombées positives associées à une image pro-inclusion sans réellement mettre en place les mesures nécessaires.

Mise à jour : Dans l’édition papier du journal, il est écrit que la professeure Marie-Odile Magnan enseigne au Département de sociologie plutôt qu’au Département d’administration et fondements de l’éducation, comme il le devrait.