Fausses nouvelles et post-vérité

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Par Sophie Lachance
samedi 25 mars 2017
Fausses nouvelles et post-vérité
Crédits photo : Sophie Lachance
Crédits photo : Sophie Lachance
Le phénomène des fausses nouvelles est au coeur des préoccupations en Amérique comme en France. Dans le cadre des 10e Assises internationales du journalisme et de l’information qui se sont déroulées à Tours, en France, du 15 au 17 mars dernier, la conférence «Fake News» et post-vérité. Quartier Libre était sur place pour constater les réflexions et pistes de solution de quatre experts, ainsi que de l’animatrice et journaliste de l’Agence France Presse (AFP) Laurence Benhamou.

«Le coeur du sujet est internet et la dérégularisation», lance le conférencier et professeur de sociologie à Paris 7 Gérald Bronner, qui est aussi membre de l’Académie des technologies. Alors qu’une minorité de professionnels de l’information étaient auparavant aux commandes, la multiplicité des sources d’information et leur démocratisation renverse la vapeur. « [Cela] apporte son lot de conséquences», pense M. Bronner.

Selon lui, ces nouvelles réalités incluant les médias sociaux amplifient le biais de confirmation, par lequel un individu est porté à ne pas remettre en question une information avec laquelle il partage l’opinion. De plus, le discours politique truffé de « faits alternatifs » du président américain Donald Trump et de sa conseillère Kellyanne Conway, de même que celui des candidats à la présidence française François Fillion et Marine Le Pen, renforce la nécessité d’une vigie journalistique d’un côté et de l’autre de l’océan Atlantique.

Décodage houleux      

Des médias français adoptent depuis quelques années des mesures pour contrer le phénomène. Le Figaro, Libération et Europe 1 dédient une rubrique quotidienne à la vérification de faits. Le Monde s’attaque quant à lui «à la racine du mal par l’analyse et établissement d’une base», explique le directeur adjoint des Décodeurs au Monde, Alexandre Pouchard. Lancé le 1er février 2017, l’outil plug-in, baptisé Décodex, fonctionne avec les moteurs de recherche et averti en amont l’internaute de la fiabilité de la source qu’il consulte.

Un code de couleur guide l’internaute sur plus de 600 sites web préalablement analysés par l’équipe des Décodeurs au Monde. Le rouge averti que la plateforme comporte du contenu très peu fiable. L’orange invite à la prudence. Le bleu indique un site parodique à prendre avec humour, comme le Journal de Mourreal qui n’a d’ailleurs pas encore été analysé par Décodex. Finalement,  pas de code de couleur pour ceux jugés fiables depuis le 16 mars dernier. Auparavant vert, ce changement a été effectué en réponse aux détracteurs qui voient en Décodex une forme d’étiquetage et une motivation moralisatrice du Monde.

Autres ajustements à la nouvelle version: d’une part, divulger l’identité des actionnaires et des propriétaires du média. D’autre part, la distinction de la nature d’un article. «Il y a une réelle confusion sur les sites de presse», constate Alexandre Pouchard. Nous on veut répertorier cette partie opinion de celle factuelle, pour aider le lecteur à savoir où il est». Autre constat des Décodeurs, les fausses informations proviennent souvent des mêmes sites pilotés par des quasi-professionnels avec des buts militants.

 La concurrence

« Il n’y a pas que des sites malins qui font du ‘’fake news’’», met en garde le vice-président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), Pierre Ganz. Il y a des erreurs aussi parfois dans les médias dits ‘’mainstream’’.» M. Ganz nuance la nouvelle délibérément trompeuse de celle involontaire. Il fait remarquer que dans ce dernier cas, c’est la pression issue de la concurrence entre les médias qui encourage à diffuser une information rapidement au détriment de la vérification.

Des erreurs difficiles à saisir par des outils tels que le Décodex compte tenu de la crédibilité accordée à priori à la source. «Mais plus encore, des erreurs qui peuvent servir d’armes aux représentants politiques pour attaquer le journalisme sérieux», soulève le producteur, journaliste et directeur de l’agence de presse Premières lignes, Luc Hermann. Un cercle vicieux en périphérie duquel la perte de confiance de la population ne peut se regagner que par le rétablissement de la vérité.

 

Six solutions pour éradiquer les fausses nouvelles

  1. Régularisation du marché de l’information 
    Selon Gérald Bronner, une législation s’impose, telle que l’interdiction des sites web djihadistes. Il conçoit toutefois que cette piste brime la liberté individuelle et qu’elle n’est pas optimale d’un point de vue pratique, notamment dû à la duplication de contenus.
  2. « Nodge » ou modification de l’architecture des choix 
    Adopter des mesures d’incitation plutôt que d’interdiction. Si cette technique semble plus douce que la précédente, elle a néanmoins pour effet de donner davantage d’importance à un élément au détriment d’un autre selon Gérald Bronner.
  3. Algorithmes
    Les algorithmes relayent de l’information susceptible d’être approuvée par l’internaute. Il faut modifier le modèle actuel dans le but de s’exposer à des croyances différentes et éviter ainsi le biais de confirmation selon les conférenciers.
  4. Anarchie
    Un terme utilisé par Gérald Bronner pour qualifier la régulation par la responsabilisation individuelle face à l’information, qui nécessite l’éducation. «Un défi redoutable à ne pas sous-estimer», note-t-il.
  5. Instances de régulation entre journalistes
    Libérer les journalistes des contraintes du marché de concurrence, qui laisse peu de temps à la vérification des faits.
  6. Retour de la spécialisation
    La spécialisation du journaliste, dont le rôle est essentiellement généraliste. Pierre Ganz suggère une création de services dans les rédactions dans le but de spécialiser les journalistes. Une initiative peu réaliste au regard des contraintes budgétaires des entreprises de presse selon la journaliste de l’AFP Laurence Benhamou.