Les mots souverains

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mercredi 23 novembre 2016
Les mots souverains
Le mot "colored" était utilisé aux États-Unis pendant la période de ségrégation raciale (lois de Jim Crow). Photo : "A la gare routière, Durham, Caroline du Nord.", Mai 1940, Jack Delano/ United States Library of Congress's Prints and Photographs division.
Le mot "colored" était utilisé aux États-Unis pendant la période de ségrégation raciale (lois de Jim Crow). Photo : "A la gare routière, Durham, Caroline du Nord.", Mai 1940, Jack Delano/ United States Library of Congress's Prints and Photographs division.
Les mots sont parfois préjudiciables. Formidables outils de pouvoir et de persuasion, ils ont tout autant la capacité d’émerveiller que de nuire à l’égalité des êtres humains. Petit survol du racisme dans la langue française et dans la littérature.

Les mots ne nous rendent pas toujours justice. Patrimoine historique, échos des réalités sociales et culturelles d’antan, leur survivance dans la langue laisse parfois à désirer. En effet, certains mots et expressions à connotation raciste demeurent dans l’usage, et ce, au détriment du progrès des mentalités, des droits de la personne et de l’égalité. En témoignent, par exemple, l’expression « C’est du chinois » et le mot « chinoiserie », deux équivalents à « incompréhensible », ou encore « Tête de Turc », une expression qui signifie bouc émissaire. « Être saoul comme un polonais » en est un autre, stéréotypant le peuple polonais supposé alcoolique.

D’autres mots et expressions du même genre passent presque inaperçus tant leur usage est fréquent, comme « Couleur chair », par exemple, qui est un voisin de l’adjectif « beige ». Cette expression, couramment utilisée en milieu francophone, donne la primauté aux « blancs » et fait de l’épiderme leur apanage. Il en va de même pour « Têtes blondes », une expression qui sert à désigner les enfants.

Enfin, les noms « Afrique noire », « homme de couleur », « race », « blanc » ou « noir », utilisées comme étiquettes d’appartenance identitaire, font peser sur la langue une catégorisation grossière des peuples et des cultures.

Insultes et définitions

Les dictionnaires admettent eux aussi les injures racistes dans leur lexique : « Amerloque », « Chinetoque », « négro », « Bosch », « ricain », « métèque »… toutes y figurent, sans exception. Si introduire ces injures dans le dictionnaire rend compte du parler populaire et des réalités linguistiques sociales et culturelles d’aujourd’hui, cela leur donne aussi une vie sur le papier, les perpétuent dans le temps comme un legs, un héritage. De surcroît, cela les valide et leur donne de l’importance. En fait, le problème n’est pas tant de les mentionner, mais plutôt de ne pas toujours faire état de leur caractère injurieux. Car, si la plupart des ouvrages leur attribuent un registre familier et raciste, d’autres se gardent bien de le préciser.

Pour ce qui est de la littérature, le racisme n’y est pas moins omniprésent. Quoi de plus dépréciatif que le titre Dix petits nègres, du célèbre roman d’Agatha Christie ? Cette référence faite aux Indiens d’Amérique du Nord ne laisse pas de place à l’interprétation. Qui plus est, le livre est toujours vendu en librairie et n’a changé ni de nom ni de couverture. Enfin, remarquez le titre ordurier de nègre littéraire, alias écrivain public, qui a pour fonction d’écrire pour et au nom des autres. Cette appellation est une injure outrageusement raciste et, pourtant, bel et bien d’actualité.

Ainsi, certains mots de la langue française mériteraient d’être étudiés à la loupe et éradiqués une bonne fois pour toutes de l’usage, voire même du dictionnaire. En attendant, il y va de la conscience de chacun de trier soigneusement son vocabulaire.