Les anonymes littéraires

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mercredi 12 octobre 2016
Les anonymes littéraires
Photo : Sarah Marchand.
Photo : Sarah Marchand.
En hommage aux spécialistes des langues et de la communication, la journée mondiale du traducteur a été célébrée le 30 septembre dernier. Parmi eux, le traducteur littéraire, sans qui la diffusion de la littérature à l’étranger ne serait pas possible. Un métier hors du commun qui rassemble, sous un même toit – et dans une même langue – les voix de la littérature étrangère.

Le traducteur littéraire est une plume à part entière. Écrivain au service des langues, il est un pont entre les cultures et s’inscrit dans un registre très différent de la traduction dite technique. Il est aussi un « passeur de voix », un maître du style, habile dans la manipulation de sa langue et de celle qu’il traduit. La traduction littéraire, toutefois, n’est pas une science exacte. Elle est un exercice d’approximation, doit rendre compte du sens et non de la forme, sans quoi toutes les traductions ressembleraient à ça : « You’re fired ! Vous êtes en feu ! » (2011). Cette caricature du dessinateur de presse québécois, surnommé Bado, faisait référence aux licenciements de quatre traducteurs du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral. Une belle traduction littérale, et pleine d’humour, de l’injonction « Vous êtes virés ! ».

« Traduire, c’est trahir »

La traduction littéraire, néanmoins, n’est pas qu’une affaire de mots. Chaque langue a son empreinte culturelle, son dialecte, son humour. Elle a une réalité qui lui est propre et que le traducteur doit être en mesure de comprendre, d’assimiler et de retranscrire au mieux et selon le public visé. Car un auteur doit impérativement tenir compte de son lectorat et s’adapter à lui, au risque, sinon, de compromettre la lisibilité du texte. L’âge, le milieu culturel et la classe sociale sont donc autant de paramètres à considérer dans le processus de rédaction.

D’ailleurs, quand la version française du livre Barney’s version, écrit par le Montréalais anglophone Mordecai Richler, est parue en 1999 au Québec, beaucoup ont pointé du doigt la mauvaise traduction du roman, faite par un Français. Le texte était truffé d’omissions et d’impairs qui faisaient fi de la réalité québécoise.

Certaines omissions sont toutefois inévitables. En effet, dans un texte qui décrit une culture où la tradition veut que le père embrasse sa fille sur la bouche (exemple donné par le traducteur Georges Mounin), il est évidemment impossible de traduire cela en français par « le père embrassa sa fille sur la bouche. » Cela risquerait de choquer le public francophone et d’induire une idée très différente de celle donnée par l’auteur d’origine. On pourra néanmoins remédier au problème en rendant une idée plus générale et plus appropriée du texte, et qui se rapproche davantage de la réalité francophone : « Il embrassa tendrement sa fille. »

Entre traduction et tradition, la traduction littéraire s’accompagne donc d’un bagage de connaissances générales, d’une grande souplesse d’esprit et d’adaptation… culture oblige.

Un métier de l’ombre

Le traducteur littéraire souffre par ailleurs d’un certain manque de considération. Son nom s’efface toujours derrière celui de l’auteur et est bien souvent relégué à la quatrième de couverture. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de son œuvre, le traducteur littéraire participe tout de même à la publication du texte et à son rayonnement international. Qui d’autres que les traducteurs eux-mêmes aurait pu donner, à des écrivains comme Dany Laferrière, une renommée internationale ?

Vous l’aurez compris, le traducteur littéraire joue un grand rôle dans la diffusion de la littérature à l’étranger. Éternel anonyme, il prête sa voix et s’éclipse, le temps d’un roman, derrière celle d’un autre.