Le sexe fort… des mots

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vendredi 5 février 2016
Le sexe fort... des mots
M. Bélanger est déterminé à faire en sorte que la chanson cesse d'insinuer que le patriotisme est seulement une affaire d'hommes.(photo: courtoisie Amelis Wells)
M. Bélanger est déterminé à faire en sorte que la chanson cesse d'insinuer que le patriotisme est seulement une affaire d'hommes.(photo: courtoisie Amelis Wells)
Le député canadien Mauril Bélanger a récemment proposé de changer deux mots à l’hymne canadien pour bannir une connotation sexiste. Le Québec, partisan modèle du féminisme, est à l’avant-garde et émancipe notre vocabulaire. Il est aussi le premier à avoir œuvré au combat féminin de la langue française par l’émergence d’une écriture neutre et sans supériorité de sexe. Mais à quel prix ?

M. Bélanger a proposé fin janvier de rendre plus neutre l’hymne national Ô Canada, pour le débarrasser d’une connotation jugée sexiste. Son projet de loi modifierait deux mots dans la seconde phrase de la version anglaise de l’hymne. « True patriote love in all thy sons command » soit « un vrai amour de la patrie anime tous tes fils » deviendrait ainsi « true patriote in all of us command », c’est-à-dire « un vrai amour de la patrie nous anime tous ».

Du côté du Canada francophone, le Québec prône depuis longtemps la féminisation du français. Celle-ci remonte à la parution, en 1978, d’un avis de l’Office québécois de la langue française qui réclamait l’usage systématique des accords féminins à l’écrit.

Tous au féminin !

Le masculin l’emporte sur le féminin. On connaît tous cette phrase terrible; la grammaire préfère la virilité des lettres au double e (l’étudiant?e révolté?e). Plus pratique, n’est-ce pas, qu’un effort de dissociation? Car la langue n’est pas qu’une affaire de mots et côtoie, parfois, l’opinion misogyne. La rédaction épicène sera donc nécessaire tant que perdura une certaine forme de domination patriarcale.

Ainsi, on mobilise les voyelles, les e qui se perdent au bras de leur homologue masculin : parce que, rendre la femme visible dans le texte, c’est aussi la rendre visible en société. Ce principe moral, on l’espère, s’inscrira dans les mœurs et dans l’éducation de demain. Alors quoi ? On met les (ées) entre parenthèses. Malheureusement, une typographie de ce genre reviendrait à mettre la femme elle-même entre parenthèses. Pareil pour les tirets et les barres obliques (étudiant/e/s), qui interrompent la lecture. On tente alors les points médians, plus efficaces (étudiant?e?s), moins encombrants. On préfère aussi les termes génériques (les étudiants deviennent les personnes étudiantes) et enfin, on féminise le déterminant.

Un joli progrès, déjà, et pourtant… les discours paritaires ne sont pas du goût de tous. Des militantes passent au niveau supérieur en se détournant franchement de la cause, poussant les frontières de l’égalité à l’aversion de l’homme : elles radicalisent les bouches, vantent une résistance qui condamne l’homme à perpétuité. Oui. L’étendard matriarcal sort l’artillerie. Quitte à défigurer le français, il ampute les suffixes masculins ou propulse les e (étudiantEs) au-devant du texte (la femme, d’abord !). Même les pronoms passent sous le bistouri (celleux ou ceulles pour celles et ceux).

Mots mutants ou révolution du langage ?

Et ça donne des mutants, des mots rafistolés, même quand l’agencement jure avec la forme ou le sens : cherchereuses ou chercheuseurs, c’est au choix, tant que l’égalité des sexes paraît à l’écrit. Seulement voilà : la question ne soulève pas tant un problème de parité, mais celui de l’identité de genre. Autre terrain, autre débat. Aussi, n’oublions pas que le vrai combat d’un?e féministe vise l’égalité des sexes et non la propagande haineuse contre l’homme.  

Si on continue comme ça, on accusera bientôt les articles masculins de sexisme. Et, pourquoi ne pas remonter carrément aux archives de la langue ? Car oui, l’étymologie laisse, elle-aussi, un héritage discriminatoire : le mot « femme », par exemple, dans le sens de « fe-minus » en grec, signifie « de moindre foi » et réduit la femme à l’utilité de procréation. Un vilain étiquetage, il est vrai, mais devons-nous pour autant ébranler le français sous motif d’une loi qui a plus de huit siècles ? Changer radicalement la langue, en dépit des maladresses et d’une logique défectueuse, tient plus de l’exagération. Alors, à part boycotter le français, les radicaux devront s’en contenter.

Bien entendu, la rénovation du français est de bonne guerre et, comme Justin Trudeau, on répondra simplement : « parce que c’est 2016 ». Attention toutefois à ne pas tirer trop fort sur les ficelles !