Les personnages transgenres et le problème de la représentation

icone Debats
Par Frédéric Bouchard
vendredi 25 septembre 2015
Les personnages transgenres et le problème de la représentation
Danish Girl se passe dans les années 1930 et raconte le destin de la première femme transgenre de l'histoire, l'artiste Lili Elbe et de sa femme Gerda. Crédit photo : affiche du film
Danish Girl se passe dans les années 1930 et raconte le destin de la première femme transgenre de l'histoire, l'artiste Lili Elbe et de sa femme Gerda. Crédit photo : affiche du film
Alors que la quarantième édition du Festival International du Film de Toronto (TIFF) vient tout juste de se terminer, l’heure est au bilan. Plusieurs journalistes ont vivement critiqué les films LGBTQ* présentés cette année. Depuis dix ans, la représentation des personnages transgenres n’a guère évolué selon eux. Certains ont aussi soulevé une question : qui doit représenter cette communauté ?

La question se pose sur deux fronts. D’abord, devant la caméra, qui peut et qui doit incarner les traits d’une personne transgenre ? Cette problématique en taraude plus d’un. Surtout depuis que l’acteur Jared Leto a été récompensé de l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle en 2014 pour son interprétation de Rayon — le personnage s’identifie comme femme — dans le film Dallas Buyers Club du réalisateur Jean-Marc Vallée. Le collaborateur transgenre du site consacré au cinéma Indiewire, Dominic Clarke, a clairement manifesté son mécontentement face au choix de l’acteur pour incarner Rayon. Selon lui, l’opportunité de choisir une actrice transgenre — ou du moins une femme — était évidente. Il suggère par ailleurs que la décision des producteurs a finalement d’abord reposé sur la rentabilité qu’apporte une tête d’affiche comme Jared Leto.  

Un collègue de Dominic Clarke, Matthew Hammett Knott, dresse quant à lui une liste des dix actrices transgenres qui auraient pu jouer le rôle de Rayon. D’après lui, la sélection d’acteurs non-transgenres est surtout due au fait qu’on glorifie trop la performance. Le public, mis en face d’un acteur ou d’une actrice déguisée mais reconnaissable par sa célébrité, ne verrait ainsi que le jeu et non le personnage censé être incarné. Ce sont précisément les mêmes reproches qui ont été faits aux films About Ray de Gaby Dellal et The Danish Girl réalisé par Tobe Hooper présentés au TIFF : on salue les performances de la jeune Elle Fanning et de Eddie Redmayne mais on ne s’interroge pas sur le visage choisi pour incarner ces personnages. Évidemment, les deux journalistes rappellent que leur militantisme ne vise certainement pas à catégoriser les acteurs et actrices transgenres dans ce type de rôle. Par exemple, l’actrice transgenre Jamie Clayton, connue surtout pour ses rôles de personnages transgenres dans les téléséries Hung et Sense8, a aussi décroché quelques rôles féminins – notamment pour  le court métrage Scissr de Lauren Augarten – prouvant qu’il est difficile mais pas impossible, de jouer un protagoniste du genre auquel l’acteur ou l’actrice s’identifie.

Bande-annonce du film About Ray de Gaby Dellal

Quelle place pour les personnages transgenres ?

L’autre aspect sur lequel se déploie cette réflexion concerne les réalisateurs – et à un certain degré les scénaristes. Dans le magazine Vulture, le chroniqueur cinéma Kyle Buchanan émet plusieurs réserves quant au fait que les personnages transgenres mis en scène par About Ray et The Danish Girl n’étaient pas les sujets principaux des deux films. Leur drame ne sert finalement que le protagoniste principal. La caméra, d’ailleurs, ne s’intéresse véritablement qu’à cette autre personne – ici une mère et une épouse. On peut en effet se demander si ces personnages transgenres n’auraient pas davantage profité de l’œil d’un scénariste ou d’un réalisateur LGBTQ. Car, outre le fait qu’ils soient relayés à des seconds rôles, les personnages auraient pu bénéficer d’une profondeur psychologique et d’une sensibilité plus intime au travers d’un regard qui les cerne mieux.

Le journaliste Peter Knegt d’Indiewire rappelle toutefois que, même si les réalisateurs de ces  films  sont blancs et hétérosexuels, ils ne devraient surtout pas être condamnés pour raconter des histoires LGBTQ. Leur devoir est désormais d’aller au-delà de leur propre regard  et d’épouser complètement le sujet qui les intéresse, en consacrant le personnage transgenre comme protagoniste de leur film.

Le meilleur exemple est assurément Tangerine du cinéaste américain Sean Baker, qui a pris l’affiche cet été au Québec. Le film suit les déboires de Sin-Dee et Alex, deux travailleuses du sexe transgenres, lors de la veille de Noël. Elles sont incarnées par les actrices transgenres Kitana Kiki Rodriguez et Mya Taylor.

About Ray prendra l’affiche au Québec cet automne et The Danish Girl est prévu en salles le 27 novembre 2015.

Bande-annonce du film The Danish Girl de Tobe Hooper

* Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres,  queer