« Regarder à travers les yeux d’un blanc »

icone Debats
Par Frédéric Bouchard
lundi 13 avril 2015
« Regarder à travers les yeux d'un blanc »
Noir (NWA) a pris l’affiche le 10 avril à Montréal au Cinéma Beaubien et à l’Excentris. (Capture d'écran bande-annonce)
Noir (NWA) a pris l’affiche le 10 avril à Montréal au Cinéma Beaubien et à l’Excentris. (Capture d'écran bande-annonce)
Vendredi dernier prenait l’affiche Noir (NWA), le tout nouveau long métrage du réalisateur québécois Yves-Christian Fournier. Ce film suit les destins de quatre jeunes Noirs qui semblent condamnés à leur ghetto montréalais. Le cinéaste propose un regard dur sur cette réalité cruelle où s’entremêlent drogue, crime, sexe et pauvreté. Une question brûlante qui hante le cinéma se dessine aussi: comment filmer l’Autre ?

Même si Noir a été scénarisé par Jean-Hervé Désiré, originaire d’Haïti, Yves-Christian Fournier a précisé lors d’une entrevue accordée au Voir qu’il reconnaissait les possibles reproches que l’on pourrait faire à son film. Mais quels sont-ils ? Une caricature du milieu ? Un ton moralisateur inévitable malgré un désir sincère de dépeindre une réalité méconnue et peu représentée dans le cinéma québécois ?

L’auteure et blogueuse Roxane Gay a d’ailleurs sévèrement reproché cette perspective blanche du cinéma dans son recueil Bad Feminist. Elle accuse précisément certains films (par exemple The Help [2011] de Tate Taylor et Django Unchained [2012] de Quentin Tarentino, deux cinéastes blancs américains) de justifier leur racisme par une distance historique qui n’est pas réactualisée.

Le blogue Shadow and Act, affilié au site IndieWire, a quant à lui donné la parole à Andre Seewood dans un article intitulé « Race Traitors : White Filmakers Who Make Black Films ». L’auteur, qui signe aussi le livre Slave Cinema : The Crisis of the African-American in Film, qualifie ces « traîtres raciaux » comme étant des artisans prêts à sacrifier le récit à des fins commerciales.

La principale conséquence chez les spectateurs blancs serait un inconfort face aux stéréotypes qu’ils croient percevoir alors que les spectateurs noirs adhèrent difficilement aux personnages qui ne correspondent pas à une « culture noire ». Seewood cite lui aussi comme exemple le film de Tarentino, mais aussi, Beasts of the Southern Wild œuvre indépendante de Behn Zeitlin. Il s’interroge aussi sur le moment où l’on peut considérer un film comme un « black movie ». Est-ce lorsque la majorité des acteurs sont noirs et le réalisateur est blanc ? Ou le cinéaste doit-il impérativement être noir ?

Le nouveau long métrage d’Yves-Christian Fournier ne prétend pas répondre à ces questions. Au contraire, il y a fort à parier, comme l’a reconnu le principal intéressé, qu’il en soulèvera davantage. Le Québec, comme les États-Unis ainsi que la majorité de la cinématographie occidentale éprouvent un malaise face à l’altérité. Mais alors, le cinéaste blanc est-il condamné par son « privilège » ? Comment le regard extérieur peut-il véritablement contribuer au discours ? Est-ce tout simplement le signe d’un cinéma en manque de diversité parmi ses artisans ?

Noir (NWA) a pris l’affiche le 10 avril à Montréal au Cinéma Beaubien et à l’Excentris.