Titre Manquant

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Par Anne-Sophie.Carpentier
mardi 29 mars 2011
Titre Manquant

La dramaturge Évelyne de la Chenelière et son complice metteur en scène, Daniel Brière, ont pris le parti de s’emparer du lègue de Jean-Pierre Ronfard, esprit rebelle du théâtre québécois. Ronfard nu devant son miroir incarne, avec sincérité et humour, la quête d’une plus grande irrévérence artistique pour le tandem derrière Henri et Margaux. Le résultat est un objet théâtral à l’esprit collectif et ludique, loin de l’agitation consensuelle des rebellions à la mode.

Un esprit de liberté plane à l’Espace Libre, transformée pour l’occasion en immense plateau. Les artistes, déjà en scène, accueillent le public. Daniel Brière les invite à prendre place sur des chaises ou à s’allonger sur les coussins disposés au sol. Entre deux ou trois bonjours, il rappelle amicalement à ses hôtes de fermer leurs téléphones. Tout est là pour mettre à l’aise, faire sourire et donner envie de s’abandonner à la bonne ambiance.

L’appel à l’audace commence par une invitation à la complicité. Une prise de contact agréable et surprenante pour un public plus habitué à se faire braquer et accuser de passivité par l’avant-garde montréalaise qu’à se faire souhaiter la bienvenue.

« Il faut qu’on parle»

Le spectacle se bricole, se déconstruit et se fabrique autour du message de Jean-Pierre Ronfard laissé sur un répondeur peu de temps avant sa mort en 2003. Le message parle d’une envie de plus d’audace. Le mentor y avoue avoir bu quelques verres de vin avec des amis avant de passer son coup de fil. Ce texte que l’on entend au final qu’une seule fois dans son intégralité est le point de départ formel et thématique d’une foule de scènes et de variations.

Loin de l’hommage lourdaud à un ami disparu, le spectacle se révèle irrévérencieux et éclaté. Claude Despins, Isabelle Vincent, Daniel Parent et Julianna Herzberg deviennent tour à tour et tous en même temps Jean-Pierre. Une immense « tente dinette », sorte de chapiteau, devient le lieu des convenances. Une caméra vidéo capte des images projetées en direct sur le mur du théâtre. Des slogans apparaissent : « La caméra est au théâtre contemporain, ce que le tutu est au ballet classique.» On parle allemand. On parle français. Les comédiens y vont de leurs fausses larmes et gémissent « leur mort ». Ils interrogent les faux-semblants. Ils s’accusent de faire passer une complaisance pour un risque.

We speak English

La scène finale fascine et rompt brutalement avec le reste du spectacle. Les danseurs Victoria Diamond et Nicolas Labelle enferment, tel des gardiens d’hôpital psychiatrique, les incarnations de Ronfard portant une tête en carton. Le texte métaphorique, échangé entre un frère et une sœur ayant grandi au Madrid, restaurant sur l’autoroute 20 entre Québec et Montréal, évoque l’absence de parents. La chorégraphie d’Estelle Clareton clos le spectacle sur l’image d’une nouvelle génération, en rupture face à l’héritage de ses ainés « boomers ». Un message rare sur nos scènes québécoises…Un pur plaisir coupable mis à nu.