Titre Manquant

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Par Charlotte Biron
vendredi 4 février 2011
Titre Manquant

D’entrée de jeu, le metteur en scène Philippe Dumaine annonce qu’ «il faut tout casser, déconstruire l’édifice du théâtre, et des décombres, débris bâtir un refuge» à propos de Persona, une des premières créations de la jeune compagnie hybris.théâtre. Et quelle création: adapter le chef-d’œuvre d’Ingmar Bergman (scénario et réalisation). On appelle ça mettre la barre haut. Évidemment, je suis inquiète quand les acteurs qui ne sont pas ceux du magistral film arrivent. Et les premières minutes confirment ma crainte. Ratage?

Le terme persona (masque en latin) plante d’emblée la création de Bergman dans une réflexion sur le jeu, sur les masques qui servent de rempart aux êtres humains et sur le flou entre les identités. Bergman campe ses idées dans une trame étrange: on engage Alma, infirmière, pour soigner Elizabeth Vogler, actrice, lorsque celle-ci cesse de parler alors qu’elle joue dans une pièce. Dans le scénario de Bergman, les idées autour de la notion de persona prennent racine à travers la relation entre cette actrice et cette infirmière, isolées dans une maison de campagne. Durant les longues heures que les deux femmes passent ensemble, Alma se confie, se vide et remplit le silence que produit l’actrice, jusqu’au moment où elle interceptera la correspondance d’Elizabeth avec son médecin. Alma réalisera qu’Elizabeth répète ses confidences et la méprise, du moins en partie.

Les plans serrés des visages des actrices du film, les noirs flous, les blancs vaporeux, les gris acier du film font pâlir la scène de théâtre qui doit soutenir la comparaison avec le cinéma. La force du film résidait dans l’intimité, la sensualité, la retenue que permet seulement la caméra. Le virage se fait donc difficilement sur la scène au début de la pièce. Durant les 15 premières minutes, le texte est débité lourdement : len-te-ment. Travailler la voix, comme médium du théâtre, comme un espace à déconstruire, comme un outil dont il faut avoir conscience, etc., est fort intéressant, mais l’idée est malhabile, et l’exigeant scénario de Bergman devient pénible à suivre.

Même si le projet développe trop d’attentes, en les comblant trop peu, il y a des moments durant lesquelles la comparaison s’arrête, le spectateur s’arrime au texte. Plus la pièce avance, plus on note des libertés, des différences avec le film qui permettent au théâtre de nous agripper, vraiment. Notamment, la performance physique de Danièle Simon (Elizabeth Vogler) qui est étonnante. Celle-ci réussit à nous faire regarder par instant le silence obsédant de l’actrice – ce qui n’est pas évident sur une scène. Les choix de mise en scène et de décor ne sont pas sans intérêt non plus. On ne peut que noter l’effet troublant de l’eau qui coule peu à peu des 27 bouteilles de plastique. Ainsi, les actrices se mouillent, littéralement, et même si la scénographie n’en exploite que le centième, le potentiel est là. Finalement, la vraie réussite de cette pièce, c’est Marie-Ève de Courcy. L’actrice qui incarne Alma nous rend un texte difficile, d’une égale justesse pendant les deux heures de la représentation. Dérangeante, troublante, poignante. La prestation parvient presque à tenir la pièce au complet. Marie-Ève de Courcy donne à ce projet ambitieux un souffle. Persona s’avère un projet exigeant qui méritait qu’on s’y attarde. Mais bien entendu, un tel projet ne peut reposer entièrement sur les épaules d’une seule actrice.

Persona

Union française

Du 2 au 19 février

Mise en scène: Philippe Dumaine

Avec Luc Chandonnet, Marie-Ève de Courcy et Danièle Simon

Scénographie et éclairages: Andréane Bernard

Traduction: Jacques Robnard