Titre Manquant

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Par Anne-Sophie.Carpentier
jeudi 3 février 2011
Titre Manquant

La metteure en scène Geneviève L. Blais, du Théâtre à corps perdu, sort le théâtre de ses murs et relève un défi audacieux. Elle se mesure au «théâtre de la catastrophe» du dramaturge anglais Howard Barker avec Judith (L’adieu au corps) dans le stationnement souterrain du Marché Jean-Talon.

La pièce trouve sa source dans l’Ancien Testament. L’épisode biblique se déroule la nuit où Judith, cette jeune veuve juive dont le village est assiégé par les Assyriens, se rend dans le camp ennemi en vue de séduire le puissant général Holopherne et de lui trancher la tête durant son sommeil.

Dans la version contemporaine de Barker, Judith se glisse sous la tente ennemie en compagnie de sa domestique et se frappe au refus d’Holopherne, un guerrier préoccupé par la mort et peu enclin au plaisir charnel. Sur les ordres de sa domestique, elle fait fi un instant de son désir sexuel grandissant et le décapite sauvagement. Désemparée, elle tente de jouir sur son corps mort pour ensuite sombrer dans la violence et la folie.

Des tapis orientaux recouvrent le sol et une alcôve décorée dans le même style réfère à l’origine antique de la fable plutôt qu’à un lieu contemporain. À l’arrière-scène, la rampe d’accès du stationnement est couverte par une centaine de petits soldats de glaise. Des rideaux noirs placés derrière les spectateurs assis dans les estrades cloisonnent l’espace scénique.

L’idée scénographique de Geneviève L. Blais de réactualiser la pièce en la transposant dans un stationnement souterrain semble plus ou moins aboutie. La scénographie, qui a sans doute le souci de garder les spectateurs au chaud et confortables, donne plutôt à cet espace urbain l’apparence d’un théâtre de fortune qui maquille le stationnement sans toutefois le révéler. En fait, quel dommage de se donner le mal de monter un spectacle dans un stationnement souterrain et de si peu l’intégrer à la dramaturgie du spectacle.

La décharge d’émotions à la fois grotesques et tragiques, pourtant bien présente dans le texte de Barker, arrive difficilement à passer la rampe. Antoine Lasnier manque de conviction dans le rôle d’Holopherne. Son jeu physique n’arrive pas à susciter la crainte de la violence. Judith, interprétée par Catherine De Léan, livre un jeu figé qui rend indécodables les intentions complexes de son personnage. Son jeu fragile dénature les scènes de nudité, dévoilant davantage l’actrice que le personnage.

Reste qu’Élisabeth Chouvalidzé illumine le spectacle avec son interprétation juste et comique de la domestique. Sa présence scénique forte et sa motivation claire à pousser sa maîtresse au meurtre tiennent la pièce à bout de bras.

Au final, les faiblesses dans le jeu laissent tout de même percer la réflexion. Barker y interroge le geste qui, un instant plus tôt, aurait pu venger héroïquement un peuple et qui, l’instant d’après, devient un geste barbare et honteux.

Judith (L’adieu au corps) présentée dans le stationnement souterrain du Marché Jean-Talon jusqu’au 17 février 2011.

En collaboration avec Sarah Maquet