123Klan : amour, violence, gloire et talent

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Par Justin D. Freeman
mercredi 23 mars 2011
123Klan : amour, violence, gloire et talent

En couple à la vie comme à la scène, Scien et Klor sont les deux expatriés à Montréal du 123Klan, un crew de graffiti né en 1992 à Lille, dans le nord de la France. Près de vingt ans après la création du collectif, ils sont toujours aussi actifs et font principalement du graphisme. Rencontre dans leur atelier aux allures de loft, au coin des rues Ontario et Parthenais.

Le 123Klan est une entreprise de design qui conçoit des emballages ou des logos pour des marques qui souhaitent s’adresser à un public très précis. Le coeur de cible est urbain et a entre 12 et 25 ans. Les services du Klan s’adressent aux entreprises qui souhaitent se «lancer intelligemment» sur le marché des amateurs de hip-hop. Un milieu qu’ils connaissent pour y baigner depuis 1992, avec le lancement du crew de graffiti éponyme.

«Mon fantasme serait de signer une pochette de disque pour les Beastie Boys», confie Klor, ambitieuse assumée. Le bâtiment industriel qui abrite l’atelier du 123Klan est énorme, les couloirs sont sans fin. Au bout du dédale, après une dizaine de panonceaux fléchés, une porte recouverte d’autocollants. L’antre de la bête. Ou plutôt d’une véritable machine : les dernières années, le 123Klan a signé des visuels pour des multinationales de l’industrie alimentaire (Coca-Cola, Pepsi, Saputo), diverses entreprises de jeux vidéo (Capcom, Ubisoft), et plusieurs marques de prêt-à-porter (Carhartt, Stüssy ou encore Johnny Cupcakes… entre de nombreux autres).

«On a la chance de ne pas avoir à démarcher nos clients », confie Scien. Et pour cause, dans le domaine, ce sont des références : «On a reçu un appel de Coca-Cola France il y a quelques années, ils voulaient qu’on leur fasse un design complet de canette. Le problème c’est qu’ils n’avaient aucun budget, ils nous proposaient un montant ridicule par canette vendue. C’était vraiment insuffisant, genre un douzième de centime d’euro, ils disaient que ça nous ferait de la publicité. J’ai refusé et je leur ai répondu que si Coca-Cola était capable de venir nous trouver on n’avait pas besoin de plus de pub que ça!» Klor ne semble avoir aucun complexe et Scien l’appuie : «Passer de graffeurs à graphistes c’est naturel ! C’est simplement un prolongement de notre discipline. On a commencé sur des murs, sur des trains… on continue d’envahir tout ce qu’on peut, c’est obsessionnel ! »

Si collaborer avec des géants du textile tels que Nike ou Adidas n’est pas donné à tout le monde, les membres123Klan affirment ne pas en retirer de fierté particulière. Une bonne dose de fausse modestie ? Bien au contraire : «C’est eux qui devraient être fier de nous avoir ! » lâche Klor, comme un aphorisme.

«Peace, love, unity & having fun!»

Les membres du 123Klan ont fui l’hexagone pour la métropole en 2007 : « le Québec, c’est le meilleur des deux mondes, une enclave Francophone en plein coeur de l’Amérique du Nord. On est proche de New York ou sont basés plusieurs de nos clients, et la qualité de vie est exceptionnelle, confie Scien. Où que l’on aille, on est toujours heureux de rentrer à Montréal ! » Klor appuie : « Ceux qui nous ont présenté Montréal devaient être subventionnés par le gouvernement du Québec. C’est sûr !»

Si le zèle d’une jeunesse baignée dans la culture naissante du hip-hop français des années 1980-1990 a peut-être été un peu dilué avec les années, l’héritage subsiste. En témoigne la table basse du «salon» de l’atelier imprimée du logo de Public Enemy, un homme au cœur d’un viseur. «C’est un clin d’oeil, ça nous permet de dire à nos clients qu’on ne rate jamais notre cible, rigole Scien. Ça détend l’atmosphère car ils sont souvent intimidés en arrivant chez nous. Ils ont peur de tomber sur des gangsters !»

Le 123Klan joue tout de même sur l’ambivalence de l’image hip-hop, en particulier avec Bandit-1$M, leur marque textile. Scien explique: « Rien que le nom Bandit-1$M – est une façon de signifier qu’on fait de l’argent avec quelque chose d’illégal à l’origine : le graffiti ! » Cette marque, c’est un espace pour «tenter des trucs», un laboratoire. « Il faut savoir que lorsque l’on crée un logo pour une marque de vêtements, ça ne sort pas avant un an et demi en moyenne. Quand on les porte ils ont déjà perdu de leur nouveauté. Avec cette ligne textile on s’amuse: on peut rapidement passer à la production». Alors oui, cette marque est pratiquement un caprice d’artiste mais le résultat va au-delà de la simple création de logo. C’est à un perpétuel jeu de références que s’adonne le couple. Les visuels présentent des compositions allégoriques mariant les codes de la culture hip-hop à des clins d’oeil historiques, le tout sur des codes couleurs finement élaborés, en écho à ceux des plus grandes franchises sportives américaines [voir encadré Ring the alarm].

Des séries de 100 exemplaires sont ainsi produites, en marge des designs signés 123Klan. Klor explique : « L’idée, c’est juste de s’amuser.On limite la sérigraphie à 100 exemplaires par T-shirt. Si jamais nos créations ont du succès, on veut pouvoir revendre l’entreprise. Je n’ai aucune envie de devenir gestionnaire !»

Ring The Alarm

Ce t-shirt reprend le titre de la chanson reggae Ring the alarm, sortie par Tenor Saw en 1985. Sous la typographie massive, place à une oie bling-bling coiffée d’une casquette. La situation rappelle la légende des oies sacrées du capitole, qui, selon la mythologie, auraient sauvé Rome d’un assaut Gaulois, en 390 avant J.-C.

Hip-hop ! ?


 

Contrairement aux idées reçues, le hip-hop n’est pas un genre musical ! C’est une culture à part entière qui comprend cinq disciplines : le rap, le deejaying, le graffiti, le beat-box et le breakdance. Les maîtres-mots de cette culture : «peace, love, unity & having fun » selon la devise établie par Afrika Bambaataa en 1974.